Tribune Le Cercle Les Echos, postée le 22 février 2011
Auteurs : Jean-Marc Pasquet et Serge Guérin, élus régionaux EELV au conseil régional d’Ile de France ; écrit avec Erika Mustermann (pseudonyme d’un haut-fonctionnaire).
Ce n’est pas seulement la fille de Jean-Marie Le Pen qui a pris la direction du Front National. C’est aussi celle qui, depuis 10 ans, a fait de la région Nord-Pas-de-Calais un laboratoire pour roder sa stratégie d’accès au pouvoir.
Sur cette terre du Guesdisme, un temps séduite par « le populisme Boulanger », la société s’est structurée durant trois siècles autour d’une mono industrie. Elle a permis l’émergence d’une véritable aristocratie ouvrière, produit des grandes solidarités et mise à l’épreuve des vagues successives de migrations. Une société du respect, du travail et de l’humilité. Une société qui par son labeur a contribué de façon décisive au développement et à l’industrialisation de la France. C’était le temps d’une société encadrée où tout appartenait aux Houillères. Maison, services de soins, loisirs : le giron du paternalisme minier embrasse jusqu’à la vie privée des familles et écarte de la « propagande » des bistrots. Le lundi, le garde des mines mettait à l’amende directement sur leur salaire ceux qui, le samedi précédent, n’avaient pas balayé leur trottoir. Ici, l’initiative individuelle était mal vue et le déterminisme social jouait à plein.
C’est encore le pays des pollutions, des affaissements miniers, des inversions de cours d’eau, de la silicose et de la hausse des maladies professionnelles, deux fois plus forte que dans le reste du territoire.
La fédération PS du Pas-de-Calais est issue de ces influences. Elle en tire sa forte culture égalitaire et une laïcité chevillée à l’identité ouvrière. Un socialisme républicain de la première gauche, dirigiste, qui sape l’influence du parti communiste, avec ses seigneurs locaux et leurs féodalités électorales. Sur ce bassin minier, le long d’une bande de 120 kilomètres de long sur 10 kilomètres de large, la décision de mettre fin, dès le début du premier septennat de François Mitterrand, à plus d’un siècle d’exploitation minière, sans s’inscrire dans une perspective de transformation économique et culturelle, a saisi 1,1 million d’habitants entre Valenciennes et Béthune où le taux de chômage, qui dépasse les 14%, est un des plus élevés de France. Dans la même période, Pierre Mauroy lançait le projet structurant d’Euralilles et, plus tard, Martine Aubry faisait de Lille, une capitale européenne de la culture et une notable exception.
Avec la fin de la mine, les systèmes traditionnels d’entraide et de solidarités se sont progressivement déliés, en laissant dans le désoeuvrement beaucoup d’individus parmi des populations globalement plus pauvres et plus fragiles qu’ailleurs. Ici s’observe et se mesure aussi l’épuisement de la dynamique de changement collectif, responsabilité historique des partis ouvriers.
A Hénin, le FN poursuit sa longue et patiente progression : 17,48% au premier tour des élection municipales de 2001, 30% à celle de 2008 et 48% au second tour des municipales de 2010. Entre ces élections, la Chambre régionale des Comptes constate un déficit de 12,4 millions d’euros et impose une hausse des impôts locaux de « +85% » dont le maire de Hénin-Beaumont tirera son surnom.
La nouvelle présidente du FN affûte ses armes. Elle entend faire de la conquête de Hénin la première marche de son ambition nationale. D’autres villes sont prêtes à basculer pour les mêmes mauvaises conjonctions : sociales, économiques, écologiques et morales. La droite locale se prête à évoquer à demi mot l’évolution « à l’italienne » du parti de l’extrême droite. Le projet mégrétiste rendu possible par l’héritière du parti de Le Pen : tout devient possible.
Le sursaut : Loos-en-Gohelle
Alors, pour mettre un terme à la stratégie de Marine Le Pen, il reste le sursaut. Celui qui vient du projet initié par le Maire écologiste voisin de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron, d’inscrire le bassin minier au patrimoine mondial de l’humanité, nous semble ouvrir de réelles pistes pour sortir d’une logique mortifère. On ne peut que regretter que le président Sarkozy ait choisi de retarder d’un an la présentation du dossier auprès de l’Unesco.
Inscrire le bassin minier au patrimoine mondial de l’humanité
Après l’arrivée du Musée du Louvre à Lens, l’élaboration d’un projet de territoire autour de la reconnaissance de l’histoire minière suscite l’admiration autant que l’agacement d’une grande partie des élus locaux. Après l’arrêt de l’exploitation de la mine, l’Etat, les Houillères et une bonne partie du PS local n’avaient qu’une ambition : raser tout signal minier, pour être « comme les autres ». La mise à l’honneur des terrils les plus hauts d’Europe, la célébration de l’urbanisme minier, avec ces cités jardins au cœur des villes, l’adhésion en nombre des habitants au projet, tous ces éléments montrent la révolution culturelle en cours qui ouvre enfin la porte de l’après charbon et permet d’imaginer une nouvelle dynamique fondée sur l’économie locale et l’accompagnement social.
Le développement durable appliqué au réel
Mais plus encore, ce sont 15 années de mise en œuvre du développement durable appliqué au réel, à Loos-en-Gohelle, qui interpelle aujourd’hui les élus, les universitaires et les journalistes. Après Bedzed et Freibourg, Loos pourrait avoir découvert un modèle de développement durable exemplaire.
Ainsi, des centaines de bénévoles s’investissent dans l’organisation des manifestations sportives, notamment le marathon qui relie Lille au site du Louvre, à Lens, que court le maire de Loos, qui en est aussi l’inspirateur. En soutien à la candidature à l’Unesco, l’arrivée cette année sera au pied des terrils, sur le désormais mythique 11/19.
L’engagement, le bénévolat, l’implication de toutes et tous est une réalité : cela va des comptages d’hirondelles par des volontaires pour mesurer le retour de la biodiversité en ville, à un nombre impressionnant de réunions publiques pour associer les habitants aux décisions sur les sujets qui les concernent. Cette alchimie faite d’ingénierie sociale et d’innovation produit un fort degré de compréhension collective et d’usage des aménagements de la commune.
L’innovation dans le développement durable est marquée par le lancement des premières maisons HQE dès 1995 pour les anciens mineurs.
Aujourd’hui, les bailleurs sociaux expérimentent le HQE Très social, en proposant des logements collectifs aux performances énergétiques bien supérieures aux normes actuelles, à environ 400 euros par mois pour un F4.
Mais les initiatives de la ville concernent d’autres domaines. La création de 15 kilomètres de ceinture verte qui entoure la commune pour stopper l’étalement urbain. Un aménagement qui facilite les continuités biologiques dans la ville, relie les écoles avec des modes de transport doux en sites propres et, accessoirement, sert de piste d’entraînement pour les coureurs à pieds.
Transformation sociale et culturelle : la reconquête d’une identité
L’ensemble de ces initiatives, de ces transformations sociales et culturelles, joue aussi sur la tranquillité de Loos-en-Gohelle, où les incivilités sont en baisse, parce que les gens se parlent et sont fiers de la reconquête d’une identité. Celle qui a été flouée par trop d’acteurs locaux qui, à force de renoncements et de petites trahisons, ont préparé les conditions d’une victoire du FN, encore impossible il y a une décennie.
Le maire, Jean François Caron, a été réélu en 2008 avec 82% des voix aux dernières élections municipales.
L expérience de Loos-en-Gohelle, ou comment stopper l’ascension de Marine Le Pen.