Avec sa nature sauvage (les ours viennent tout juste de sortir de leur période d’hibernation - voir ici) et préservée, une faune et une flore parmi les plus riches d’Europe, l’Estonie semble bien "verte" et attire d’ailleurs de nombreux amoureux de la nature.
Mais est-ce suffisant pour être écolo ? Bien évidemment non, mais l’Estonie se défend et souhaite entrer dans l’ère des énergies renouvelables.
Le départ est déjà donné puisqu’en échange de 10 millions de crédits carbone, l’Etat estonien recevra 507 véhicules électriques i-Miev de Mitsubishi en mars 2012, destinés au personnel administratif. Le deal conclu le 3 Mars inclus aussi la prise en charge par le constructeur japonais de la construction de 250 centres de recharge express. Grâce à ces bornes, les utilisateurs devraient pouvoir recharger 80% de leur batterie vide en 30 minutes. Ces bornes seront tout d’abord installées dans les plus grandes villes et le long des principales routes en 2013. Cependant, un maillage plus complet du territoire est prévu avec pour but l’extension à l’utilisation privée en subventionnant les 500 premiers acheteurs grâce aux fonds provenant de Mitsubishi.
Le gouvernement souhaite ainsi que 10% du secteur des transports soit basé sur des énergies renouvelables en 2020 et que l’Estonie se dote du réseau de recharge rapide le plus innovant et le plus dense au monde – ainsi que le plus grand nombre de voitures électriques par habitant.
L’Estonie a également fait parler d’elle à l’étranger pour son action de nettoyage du territoire en Mai 2008 (Teeme ära). Un logiciel avait été spécialement développé permettant la géolocalisation de 10 000 sites à nettoyer dans tout le pays. Un système qui a par la suite été vendu et utilisé par d’autres pays (pas dans le même but). Cette journée avait mobilisé plus de 50 000 personnes et avait été un succès puisque 10 000 tonnes de déchets en tous genres avait été amassés en 5 heures. C’est cependant le signe que la nature estonienne n’était pas si propre et avait besoin d'un coup d'éponge, qu’il y a un souci d’éducation et que tous les Estoniens n’ont peut être pas l’esprit si vert que l’on peut le croire…. Par ailleurs, cette action n’a été qu’un one-shot et n’a pas été renouvelée.
Différences générationnelles ? entre citadins et ruraux ? entre CSP? Probablement.
Mais le constat global est, selon moi, sans appel. L’Estonie n’est pas un pays écolo.
Les dernières élections législatives l’ont encore une fois montré. Le parti des Verts (Erakond Eestimaa Rohelised) n’a même pas obtenu un siège au Parlement en n’obtenant que 3,8% des voix (contre 7,1% en 2007) !
Et pourtant, les sujets ne manquent pas.
Ainsi, plus de 90% de l’énergie en Estonie est produite à partir de schistes bitumineux extraits dans le Nord-est du pays (entre Tapa et Narva).
L’Estonie compte d’ailleurs plusieurs records dans ce secteur :
- Plus gros extracteur de schistes bitumineux depuis 2005 – environ 70% de la production mondiale en 2009
- La plus importante mine de schiste au monde est la mine Estonia, ouverte en 1972 par Eesti Põlevkivi et qui couvre une grande partie du gisement nord est.
- Eesti Energia possède la plus importante centrale électrique à combustion fossile du monde (la centrale de Narva).
Avec de tels chiffres, on est en droit de se demander si les Estoniens réalisent et connaissent l’impact environnemental réel de l’exploitation industrielle de ces schistes, qui leur permet certes, d’être indépendants énergétiquement, mais qui cause des dégâts irréversibles à leur environnement: drainage minier acide (oxydation due à l'exposition à l'air et à l'eau d'affleurements de minéraux), déversement de métaux lourds dans les eaux de surface et les eaux souterraines (pollution des nappes phréatiques), augmentation de l'érosion, émissions de gaz sulfurés et pollution de l'air par les particules produites lors des phases de transformation, de transport et les activités annexes.
En outre, et c’est un sujet à la mode, parlons CO2! La combustion et le traitement thermique génèrent des déchets et émettent dans l'atmosphère du dioxyde de carbone. La production et l'usage des schistes bitumineux génèrent plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles conventionnels (jusqu’à 4 à 5 fois plus).
En Estonie, en 2002, on estimait que 97% de la pollution de l'air, 86 % des déchets et 23 % de la pollution de l'eau provenait de l'industrie de l'énergie, dont le schiste bitumineux est le principal contributeur. L’Estonie se classe régulièrement parmi les 20 mauvais élèves dans le monde pour ses émissions de CO2 par habitant (15e en 2007, voir ci-dessous, cliquez pour agrandir).
Certains analystes ont également exprimé leur préoccupation quant à l'utilisation de l'eau par l'industrie extractrice de schistes bitumineux. Elle utilisait en effet en 2002 91 % de l'eau consommée en Estonie.
Avec la fermeture du dernier réacteur de la centrale d’Ignalina en Lituanie, la production est repartie à la hausse. L’été 2009 ayant été extrêmement chaud (souvenez-vous les incendies en Russie) et l’hiver 2009-2010 très froid, la demande en énergie a grimpé et l’extraction de schistes bitumineux est revenue aux niveaux des années 90. En 2010, 17 millions de tonnes ont été extraits, un niveau jamais atteint depuis 18 ans.
Graph: En réalisant un graphique rapide sur lequel figurent les émissions de CO2 et l'extraction de schistes bitumineux chaque année en Estonie depuis 1992, on remarque une corrélation étrange entre les deux courbes. Les émissions estoniennes de CO2 devraient donc s'amplifier si l'extraction et la transformation de schistes continuent à augmenter.
Et la tendance n’est pas prête de s’inverser. Avec la flambée des prix du pétrole, l’Estonie assure ainsi son indépendance énergétique. Sa situation en Europe et dans le monde est unique puisque sa production d’énergie repose en quasi-totalité sur l’exploitation des schistes bitumineux. Avec les accords de Kyoto, l’année 1990 étant choisie comme référence, l’Estonie se présentait comme un élève modèle. Profitant de la restructuration de son économie et de l’arrêt des exportations d’électricité vers la Russie, le pays avait déjà diminué de 40% ses émissions de CO2 en 1994 - bien plus que les 8% demandés par le protocole de Kyoto en 2008-2012 par rapport à 1990.
Inutile de préciser que le choix de schiste bitumineux a été supporté par les politiques et continuera de l’être. L’enjeu est de taille : l’indépendance énergétique de l’Estonie et surtout, l’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
Ainsi, le gouvernement a refusé le 24 janvier dernier de diminuer la production de schistes à un maximum de 15 millions de tonnes par an. Dans le plan de développement industriel 2008-2015, il est prévu une limite de 20 millions de tonnes. Une ONG locale, Fund for Nature, avait proposé de la revoir à 15 millions partir de 2015. Le Ministre de l’Environnement lui-même a exprimé son désaccord avec cette proposition.
schiste bitumineux
Aujourd’hui, les projets et les accords se bousculent :
- VKG (Viru Keemia Grupp), va construire une seconde usine de production d’huile de schiste à partir de 2012 en Estonie. Les schistes bitumineux extraits sont de plus en plus souvent transformés en fuels liquides.
- Eesti Energia, qui produit la quasi-totalité de l’électricité en Estonie, vient de signer un accrod pour acquérir 100% de la Oil Shale Exploration Company, une entreprise américaine qui possède les plus importantes réserves de schistes bitumineux privées dans l’Utah. Eesti Energia va apporter son savoir-faire et construire une usine de production d’huile de schiste. Le gisement donnera accès à 3,1 milliards de tonnes de schistes transformables en 2.1 milliards de barils.
- Un accord a été signé entre l’Estonie et les Etats-Unis le 25 février dernier visant à développer la coopération entre les deux pays dans l’utilisation des schistes bitumineux. Les Etats-Unis désirent s’appuyer sur l’expertise estonienne dans ce domaine afin de tirer parti de ses énormes réserves (environ 2/3 des réserves mondiales).
Hormis ces considérations d’importance nationale, voire géopolitique, il y a des petits gestes du quotidien qui ne trompent pas.
Les bouteilles ont beau être consignées, le tri sélectif est quasiment inexistant. Et quand il existe, il ne sert à rien. Exemple, à Viljandi, les habitants trient leurs déchets… qui finissent au même endroit dans le même entassement de déchets.
En outre, on se rend rapidement compte que les économies d’énergie au quotidien ne sont pas une préoccupation pour la plupart des Estoniens. Appartements surchauffés avec un chauffage collectif désuet, gaspillage d’eau... La prochaine fois que vous irez à Tallinn en plein hiver, rendez-vous dans un immeuble fonctionnant au chauffage collectif pour vous en rendre compte : vous finirez rapidement en t-shirt !
Selon moi, l’idée que nous nous faisons d’une Estonie écolo est en partie erronée. Les médias et les agences de voyage participent à ce cliché en ne nous présentant qu’une vision éclatante des choses. On parle (un peu) des grands projets de nettoyage, de la préservation de la nature estonienne ou encore dans certains documentaires de la guerre du phosphorite (les Estoniens s’opposant à la fin des années 1980 à l’exploitation des gisements par les soviétiques) mais peu des projets moins propres ; surtout quand Alstom gagne un gros contrat pour la construction d’une centrale à combustion fossile, on n'ose pas parler des effets néfastes de la combustion de ces schistes (ni dans les médias estoniens d'ailleurs).
L’Estonie est encore un pays jeune dont la conscience bio-écolo est en train de doucement s’éveiller et qui commence à se poser des questions. C’est un bon début et des projets comme Teeme ära, même s'ils ne prennent pas selon moi le problème du bon côté (i.e. l’éducation), partent de bonnes intentions et prouvent que les Estoniens sont prêts à se mobiliser pour la préservation de leur biodiversité. Peut être cette conscience écolo est-elle encore enfouie et pas assez « in ». Et on sait combien les Estoniens sont sensibles aux tendances, particulièrement les classes les plus aisées. Pour surfer sur cette vague, les hypermachés Rimi ont lancé il y a peu une gamme de produits bio.
Des projets plus vastes doivent cependant voir le jour mais c’est un sujet que les politiques doivent s’approprier.
Si je suis à 100% en faveur du projet de développement d’un parc de voitures électriques en Estonie, rappelons tout de même qu’une voiture électrique fonctionne avec de l’électricité ; électricité produite à partir de schistes bitumineux polluants… on tourne en rond et on ose parler d’énergies renouvelables!
Idée suivante…