Les excès relatifs aux interprétations du fameux sondage qualifiant Marine Le Pen pour le second tour inondent les médias en tout genre. A ce titre on peut affirmer que l’institut Harris et son commanditaire officiel, Le Parisien, ont réussi leur « coup ». C’est en effet bien un « coup » que certains n’hésitent pas à décrirer. Si « manipulation » il y a, pourquoi pas, encore faudrait-il déceler qui manipule qui et qui profite effectivement du « crime » ?
On ne peut se fier aux cris d’orfraie des uns et des autres, tant il est vrai que souvent le criminel peut lui-même hurler « à l’assassin ». Il est facile d’enregistrer que sur les deux enquêtes réalisées, les deux grosses « cylindrées » du monde partisan (UMP, puis PS) sont tour à tour touchées par l’émergence supposées de la Présidente du FN : dans le premier Sarkozy sauve sa place au second tour au détriment de Martine Aubry, dans le second c’est au contraire DSK qui s’assure l’élection facile face à Marine Le Pen, Sarkozy étant « out » … Certains gloseront sur les subtilités potentielles de cette différenciation entre les candidats de la gauche : un DSK présent au second tour vaut mieux qu’une Martine Aubry éliminée ; les écarts sont si ténus que le distinguo apparaît bien subtil et ne recouvre pas une réalité.
Si le bénéficiaire au sein des deux grandes formations de gouvernement ne peut être clairement désigné, il est en revanche assez évident d’éclairer avec précision ceux qui perdent, ceux dont la stratégie sera brocardée : les candidats outsiders ou de témoignage. Ecoutons déjà les recommandations unitaires proférées à grand renfort de réminiscence 2002 par Hollande, Moscovici d’un côté, Fillon, Copé de l’autre. Le « jeu » du mémoriel 2002 l’emporte partout. Il est si facile de rappeller en effet que les candidatures de témoignage de Tobira et de Chevènement avaient laissé sur le carreau Lionel Jospin, assurant la victoire « républicaine » de Jacques Chirac. Cette dialectique de la « peur », d’un 2002 à l’envers ou dans le même sens, occupe la plus grande partie des réflexions au mépris du questionnement sur le fond des attentes déçues révélées par l’enquête d’opinion.
Ainsi, les plus vives pressions, « unitaires » dès le premier tour, s’exercent sur des candidats style Mélenchon et l’on voit même certains adeptes de l’écologie citoyenne accepter l’idée d’un renoncement pour cause de menace « suicidaire » Ils entourent leurs déclarations de précautions oratoires, évoquant les « négociations » nécessaires en préalable, au sujet des législatives, de la constitution des groupes en particulier.
A droite la pression n’est pas moins vive sur des Morin (Bayrou demeure « incontrôlable »), Villepin et autres Borloo et Dupont-Aignant. On a jamais tant vu Villepin à l’Elysée (sauf quand il était secrétaire général), petits déjeuners par-ci, goûter par-là : « je n’ai pas peur » déclare l’impétrant mais il devrait tout de même faire attention à sa « ligne » et à son taux de cholestérol …
C’est donc bien dans ce « jeu de la peur » que les deux grosses formations politiques se sont ruées, faisant planer l’opprobre sur ceux qui prendraient le risque par leur présence au premier tour, de rééditer l’abominable : en clair « le vote utile » !!!
Les dégâts sont dores et déjà plus importants qu’initialement prévisibles. Il devient possible d’entendre un Moscovici remettre en cause le recours aux primaires socialistes ! Laurent Joffrin dans son édito du Nouvel Observateur , évoque avec ironie et justesse cette péripétie supplémentaire dont le PS n’avait pas réellement besoin : “Pierre Moscovici et quelques autres s’interrogent désormais sur l’utilité de primaires qui ont été décidées par Martine Aubry il y a de longs mois. “Mosco” s’inquiète des divisions que ce système risque d’attiser. [..] Autrement, il s’agit d’une manœuvre de confort destinée à faciliter la vie d’un champion qu’on juge seul candidat possible. […] Moscovici pourrait aussi proposer que DSK soit nommé à la Présidence de la République au lieu d’être élu : le confort serait total…
On peut ajouter plus sérieusement qu’avec de telles propositions, une désignation en lieu et place des primaires, ceux qui s’affolent ainsi, ne font pas le jeu de leur mentor, bien au contraire. Des sirènes du même acabit ne manqueront pas d’abrutir les oreilles de droite.
Ainsi Marine Le Pen, « à l’insu de son plein gré », par la grâce d’un sondage, fait le jeu de l’UMPS, son exutoire vedette, pour mieux l’utliser ensuite, une fois les dégats avérés.