Jeudi 10 mars, l'agence d'information officielle libyenne a promis la révélation prochaine d'un « grave secret » relatif au financement politique de Nicolas Sarkozy. Le jour même, le président-candidat recevait deux représentants du Conseil National de Transition qui, en Libye, incarne la rébellion au dictateur Kadhafi. Il ne croit plus en une intervention de l'OTAN qui impliquerait désormais directement l'armée française. Il peut se montrer bravache.
Sarkozy ne croit plus en l'OTAN
Jeudi matin, à 10h, Nicolas Sarkozy a donc reçu à l'Elysée Mahmoud Jibril et Ali Essaoui, chargés des affaires internationales par le Conseil national libyen de transition (CNT), « dont la France a salué la création le 6 mars dernier », comme le précisait le communiqué officiel de la Présidence. Il a même pris la peine de raccompagner ses hôtes jusqu'au perron de l'Elysée, pour une grosse poignée de mains bien figée et souriante devant les journalistes et photographes présents. Il y a trois jours, Sarkozy était ailleurs, en province, en campagne... électorale. Mais ce jeudi matin, il s'était gardé quelques minutes pour une reconnaissance tonitruante du CNT.
Immédiatement, le pouvoir libyen a réagi : l'agence officielle libyenne Jana, relayé par la télévision d'Etat, a annoncé avoir « appris qu'un grave secret va entraîner la chute de Sarkozy, voire son jugement en lien avec le financement de sa campagne électorale ». On pense évidemment à d'éventuelles commissions. La ficelle, libyenne, est un peu grosse. Pourtant, lundi dernier, un intermédiaire dans les ventes d'armements, proche de Brice Hortefeux, était revenu de Libye avec deux journalistes du Journal du Dimanche et la coquette somme de 1,5 million d'euros. Placé aussitôt en garde à vue par les douanes, il a depuis été relâché. Ziad Takieddine était aussi mentionné dans l'affaire Karachi comme l'un des deux intermédiaires imposés par le gouvernement Balladur en 1995 dans le contrat de vente de sous-marins Agosta au Pakistan, et également très intéressés dans un autre contrat, cette fois-ci avec l'Arabie Saoudite pour des frégates.
Le régime Kadhafi fait feu de tout bois pour reprendre la main. Aux émissaires rebelles, Nicolas Sarkozy aurait évoqué des attaques aériennes ciblées contre les forces gouvernementales. Cette rumeur est tout aussi grosse. On imagine mal Sarkozy assez imprudent et contradictoire pour promettre une intervention militaire, même ciblée. L'Elysée a d'ailleurs démenti. La seule option militaire évoquée jusqu'à lors était un blocus aérien de la Libye, pour empêcher les représailles contre la résistance au colonel Kadhafi. Une « source » élyséenne a précisé que « la France reconnaît le conseil national comme représentant légitime du peuple libyen » et qu'il « y aura un échange d'ambassadeurs entre Paris et Benghazi.»
Nicolas Sarkozy marche sur des oeufs. Kadhafi est un ennemi facile - même si le Monarque a tant tardé à le reconnaître. Qu'en sera-t-il avec la Syrie, que l'Agence internationale de l'énergie atomique soupçonne de s'équiper en nucléaire militaire ? Qu'en sera-t-il avec l'Arabie Saoudite, où des manifestations pour des réformes politiques se sont déroulées ce jeudi ?
Pour le reste, la Sarkofrance découvre que l'OTAN, dont elle a rejoint le commandement militaire intégré en 2009, ne sert à rien pour une telle crise. L'organisation atlantique serait trop « provocante ». Jeudi, les Etats-Unis annonçaient une intervention humanitaire directe dans l'Est du pays. La Sarkofrance, elle, discute toujours.
Mais chut, c'est un secret.
Sarkozy s'est fait retoqué deux mesures
Mardi, on a pu commenter le revirement tactique de nos pontes de Sarkofrance, sur la déchéance de nationalité. Il a fallu la menace d'un vote contraire de cette disposition controversée de la loi Besson sur l'immigration et la délinquance - pardon - sur l'immigration et l'intégration grâce au ralliement d'une soixantaine de « centristes » de l'UMP pour que Sarkozy recule.
Jeudi, ce fut au tour de la loi Loppsi II de subir un bien plus sévère charcutage. Pour « la première fois dans l'histoire de la Vème République », le Conseil Constitutionnel a censuré autant d'articles dans une loi pourtant votée. Treize articles, sur 142, sont passés à la trappe, dont certains très symboliques de l'inutile obsession sécuritaire de Nicolas Sarkoz, comme l'évacuation de force des terrains occupés illégalement par le préfet ; la sous-traitance de vidéoprotection à des sociétés privées ; l'extension aux mineurs primo-délinquants l'application de peines plancher ; les contrôles d'identité par la police municipale ; la création d'un fonds de concours pour la police technique et scientifique qui aurait du être alimenté par les assureurs.
Pour Nicolas Sarkozy, le revers est sérieux. Mais chut, c'est un secret.
Sarkozy est candidat
Sarkozy, ce jeudi, était surtout candidat. Son agenda officiel de Président était quasi-vide : outre cette rencontre imprévue avec les émissaires libyens, il n'avait qu'un entretien de quelques minutes avec le premier ministre grec Georges Papandreou. En revanche, le candidat avait quelques heures à consacrer à sa campagne de 2012. Il avait invité, aux frais des contribuables, les dirigeants de l’UMP à déjeuner ce midi à l’Elysée. Face à la menace frontiste pour le prochain scrutin cantonal, il a distribué ses gifles : « On virera ceux qui appellent à voter FN! » pour celles et ceux tentés par un rapprochement avec le FN. Et il a tout autant tancé les autres résignés à un « front républicain » comme Gérard Larcher ou Nathalie Kosciusko-Morizet.
Ce jeudi, le ministre de l'intérieur Claude Guéant répondit à une question d'un sénateur qui s'interrogeait sur le sens du débat proposé par Nicolas Sarkozy au sein de l'UMP sur l'islam et la laïcité. Cette réponse fut étonnante : Guéant aurait dû répondre que le débat en question était proposé au sein de l'UMP dans le cadre de la préparation de l'élection présidentielle. A aucun moment, l'Elysée ni le gouvernement ne laissèrent entendre que ce débat, aussi électoraliste soit-il, serait organisé par les autorités du pays.
Pourtant Guéant, ce jeudi dans l'enceinte du Sénat, en justifia la pertinence : « Pourquoi un débat ? Parce que sont apparus des comportements et des pratiques qui ne sont pas conformes au principe de laïcité que nous défendons. » Et il compléta : « des pratiques cultuelles ont été transportées par certains dans l'espace public ; et le communautarisme se développe au prétexte de la religion. Il est dans ces conditions important de confirmer le principe de laïcité, comme l'a dit récemment le président de la République en rappelant l'interdiction du port du voile sur la voie publique.» Claude Guéant s'est trompé de poste. Il n'est plus le grand vizir de l'ombre qui gère ministres ET dirigeants de l'UMP.
Sarkozy est candidat. Mais chut, c'est un secret.