Le " Côtes du Rhône " Originel.

Publié le 10 mars 2011 par Chevalierbrigand

L'Art de cultiver la vigne sur la Côte du Rhône  (1811)


NOTICE DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE DU GARD

PENDANT L'ANNEE 1811
 
par Mr. TRÉLIS, secrétaire perpétuel. 



La vigne est le principal produit d'une grande partie du deuxième arrondissement du Gard et principalement des cantons de Bagnols, Roquemaure, Villeneuve, Saint Chaptes et partie de celui d'Uzés.

On en cultive peu et de mauvaise qualité dans les autres cantons.
La réputation dont jouissent les vins de la Côte-du-Rhône, exige que nous examinions, avec soin, tout ce qui peut avoir rapport à cette denrée précieuse.
 
Le terrain qui produit les meilleurs vins de la Côte-du-Rhône, est argileux, sablonneux et caillouteux.

On y préfère l'exposition au midi, celle du nord ne donnerait jamais une qualité de vin supérieure.
En raisins noirs, le Picpoul est à peu près la seule espèce et celle qui fait le fond de la vendange.
 
Cela n'empêche pas que le général des cultivateurs n'introduise aussi, dans ses vignobles, quelqu'autres variétés ; telles que celles appelées, dans l'idiome languedocien, le Terret Noir, le Petareou, ainsi nommé sans doute à cause du craquant de ses baies ; le Moustartdier et le Maroquin  et depuis quelques années, le Grenache qui, par son bouquet et sa couleur, donne aux vins de cette contrée, une qualité bien supérieure et qui avait été inconnue jusqu'à l'époque de l'introduction de cette espèce de raisin dans cette partie.
En raisins blancs, on distingue la Clairette et le Picardan, de même que celui appelé, dans l'idiome du pays, Bourbousen qui n'est autre que le Mornain  blanc. On trouve en outre, le Calitor, raisin mou et très sujet à se pourrir.
Les autres espèces ne comptent pas, si ce n'est le Chères dont le fruit est aussi excellent à manger, que le vin en est pétillant et agréable à boire ; mais il est peu connu et il est ordinairement la proie des maraudeurs.
Toutes les espèces sont ordinairement confondues dans les plantations ancienne, mais dans les nouvelles, on s'attache au choix des plants analogues et qui peuvent concorder, soit pour la qualité, soit pour l'époque de la maturité.
 
Il existe beaucoup de plantations qui sont toutes en grenache.

On plante généralement au pal et avec des ceps sans racines.

La distance d'un ceps à l'autre est depuis un mètre et demi jusqu'à deux mètres en carré.

Le provignage n'y présente aucune particularité.
 
Dans la taille, le propriétaire est nécessairement obligé de s'attacher à donner le moins d'élévation possible à la souche, à cause qu'on n'y fait pas usage des échalas et que les vents du nord soufflent avec violence sur les bords du Rhône.
 
La précaution de relever la souche ne peut être pratiquée que par les propriétaires ayant des plantations dans des lieux bas et humides, où le raisin est sujet à se pourrir.
 
C'est d'après ces deux circonstances qu'on se dirige  et on ne perd pas de vue que la taille ayant pour objet la dissémination de la sève, suivant le plus ou le moins de vigueur de la vigne et de retrancher ou prévenir la pousse d'une trop grande quantité de sarments ou de brindilles qui finiraient par épuiser la plante.

On doit tailler plus court ou plus long et laisser plus ou moins de flèches suivant la qualité plus ou moins substantielle du sol, suivant aussi l'espèce ou la qualité particulière de là souche et enfin, suivant l'âge et la vigueur de la vigne.
La première année on enlève, raz de la souche, toutes les menues brindilles qui ont poussé et l'on taille le principal jet à un œil seulement au-dessus de la terre. C'est ce que nos vignerons appellent encore, éborgner le plantier.
 
L'année suivante, le plus ou le moins de vigueur de la souche doit régler le cultivateur pour laisser plus ou moins de bois. Si le jeune plant est languissant, on le ravale encore jusqu'à un seul œil au-dessus de terre et s'il montre de la vigueur, on l'allonge jusqu'au-dessus du second œil et on lui donne du bois à proportion.
La troisième année, si la plantation a été cultivée avec soin, la souche doit commencer à se former. Alors on taille sur deux et même sur trois branches, suivant la vigueur et la multiplicité des jets, en observant de tailler toujours très-bas pour que les racines travaillent avec plus de force dans ce premier âge.
 
La formation de la souche en cul-de-lampe, est ce que nos vignerons appellent ensceller un plantier.
 
Enfin, à mesure que la vigne prend de l'accroissement et de la force, après avoir nettoyé la souche de tout son bois inutile, on finit par lui laisser jusqu'à quatre et même jusqu'à cinq branches maîtresses, toujours disposées en cul-de-lampe à l'extrémité desquelles sont les sarments qu'on coupe au-dessus des deux yeux les plus bas.

On sait que la taille de la vigne demande des soins souvent minutieux dont ne sont pas susceptibles tous les cultivateurs.

Par exemple, lorsque pour éviter la presse ou la cumulation des travaux à l'approche du printemps ou dans la vue de pouvoir donner à une vigne des labours d'hiver qui lui sont si salutaires, on la taille immédiatement après la chute des feuilles.

Il est bon d'observer alors, en coupant le cep au-dessus d'un œil ou des deux yeux les plus bas, qu'on doit se rapprocher, autant que possible, du dernier œil qui doit être emporté par la taille, afin de garantir ainsi, ceux destinés à donner au printemps du nouveau bois, du contact trop immédiat des grandes gelées souvent funestes à la vigne, surtout lorsque ce sont les grenaches ou autres espèces à moelle aussi abondante qui en sont frappées.

Une vigne commence à rapporter à quatre ans.

Elle est en plein rapport à douze ans.Elle dure cinquante ou soixante ans, même jusqu'à cent et plus, lorsqu'elle est bien cultivée et qu'elle n'a pas été plantée dans un fond humide ou nouvellement arraché, étant reconnu que la vigne dure peu lorsqu'elle succède à une autre vigne.
Sur toute la Côte du Rhône on laboure les vignes avec la petite-charrue.

Dans tout le reste de l'arrondissement et notamment dans le canton d'Uzès, ces cultures se font à bras et elles sont infiniment meilleures.
 
On donne trois labours aux jeunes vignes ou plantiers dont il est bon de presser l'accroissement. La culture des vignes étant du reste fixée à deux labours seulement qu'on donne en mars et en mai, c'est-à-dire, lors du premier mouvement de la végétation et puis quand les bourgeons ont acquis assez de force pour résister aux chocs ou aux froissements que, malgré toute l'attention du cultivateur, il est difficile de ne pas leur faire quelquefois éprouver.
En même temps qu'on pratique ces divers labours, des manouvriers, avec une grande pioche à deux pointes appelée Bêchard, fossoient chaque cordon de souches dans toute la longueur, de manière à leur donner une bonne culture et à les déshabiller du chiendent et autres plantes parasites qui ont poussé autour du tronc.
 
A l'égard de celles des vignes dont les souches sont moins espacées et plantées dans un sol moins pierreux ou caillouteux, on les cultive à la pioche en totalité, c'est-dire sans labour.
On ne fume point les vignes et en général, on ne les effeuille pas.

Cependant, on est convaincu que la précaution d'en effeuiller certaines parties, à peu près un mois avant la vendange, ne peut être qu'avantageuse pour les vignes jeunes ou vigoureuses dont les rameaux touffus ne permettent pas au raisin d'être entièrement mûri par les rayons du soleil.

Mais cette opération que peu de propriétaires font pratiquer, demande des soins et de la prévoyance : c'est-à-dire qu'il serait dangereux de s'y livrer trop tôt et surtout avant que les pluies de septembre aient pénétré le raisin d'une fraîcheur et d'un humide salutaires qui ne laissent plus craindre pour lui les funestes effets d'un soleil trop brûlant.
On égrappe les raisins à la vigne.
La généralité des propriétaires ne connaît guère que les cuves de pierre, sans doute parce que leur construction et leur entretien sont moins coûteux.

Cependant, on ne saurait révoquer en doute que les vins cuvés dans le bois, quand ils sont faits méthodiquement et avec soin, n'en soient bien meilleurs.

Il est démontré que dans le bois, la fermentation est plus prompte, que le raisin y conserve mieux sa saveur et son bouquet, dont le vin finit par se pénétrer par l'effet de la fermentation.
Un riche propriétaire de la Côtes-du-Rhône s'aperçut, il y a cinq ou six ans, que son vin de grenache n'avait ni ce moelleux, ni cette délicatesse, ni même ce goût de rot qu'on lui trouvait ordinairement.

Il en raisonna avec un homme instruit et il lui fit observer qu'ayant suivi tous les procédés usités dans la confection de ses vins, il n'attribuait cette différence qu'à l'emploi qu'il avait fait, cette année-là, de cuves de pierre contre son usage.
N'en cherchez pas ailleurs la cause, lui dit - t- on. « La fermentation de la vendange dans la pierre est bien  loin de produire les effets avantageux qu'on est assuré d'obtenir dans les cuves de bois. »
Lors, ce propriétaire se décida à multiplier ses cuves de bois et à ne plus faire cuver son vin que dans des vaisseaux de cette matière. Depuis lors, ses succès n'ont plus varié.



En temps de paix, c'est-à-dire lorsque la liberté du commerce, tant sur mer que sur terre, multiplie et facilite les débouchés, les demandes considérables de vin clairet, pour servir à des mélanges, font qu'on ne laisse guère cuver les vins du canton de Roquemaure, au-delà de vingt-quatre heures.
Lorsque, au contraire, le commerce et la navigation sont entravés, les propriétaires n'ayant plus la même perspective pour les placements aussi prompts de leurs vins, les font cuver quatre cinq et même jusqu'à six jours.
On doit cependant observer ici que, parmi ceux des vins les plus réputés de la Côte dû-Rhône, depuis Jusclam jusqu'à Tavel, il en est qui, par leur nature ou leur destination, demandent d'être plus ou moins cuvés et colorés : tels sont ceux de Tavel, ceux de Saint-Laurent-des-Arbres et de Lirac, qu'on destine à être bus tels quels ou sans être coupés ; ceux de Roquemaure, dont la qualité ne saurait en général supporter le parallèle avec les crus que nous venons de citer, et qui, dans les années peu sures, soutiendraient difficilement les chaleurs si on ne prenait la précaution de les faire cuver. 
Enfin, les vins de grenache qui, quel que soit le lieu de leur naissance, pour être dans leur véritable qualité, demandent de cuver environ huit jours , afin de les dépouiller du visqueux plus particulier à leur espèce, pour faire élaborer ou consumer par la fermentation, ce que leur liqueur a d'excessif ou de trop pâteux et leur donner cette couleur grenat-foncé, la seule convenable à cette qualité particulière de vin.
Les vins de la Côtes-du-Rhône ne subissent aucune autre préparation que celle dont-nous avons parlé.

Seulement les propriétaires, habitués à soigner leurs vins, les font soutirer en mars, avant le retour de la sève : après avoir bien fait laver et nettoyer les tonneaux, ils les font soufrer légèrement avec une mèche préparée et ils y jettent ensuite le même vin qui en a été tiré clair-fin.
 
On se fait difficilement une idée de ce que gagne le vin à cette opération réitérée, surtout dans les années où la qualité n'est point aussi ferme et lorsque la lie en est viciée d'un principe de verdeur ou de corruption, occasionné, soit par le défaut d'une parfaite maturité dans la vendange, soit quelquefois par les pluies ou les brouillards si funestes au vin, lorsque le raisin en a été attaqué aux approches de la vendange.
 
Ces vins, faits avec soin, qui ont convenablement fermenté dans la cuve, doivent être bus de quatre à cinq ans.
Le grenache ne peut que gagner à être conservé jusqu'à sept  et huit et même jusqu'à douze ans.

Du reste, bien soignées, les bonnes qualités de vin de la Côte-du-Rhône se gardent jusqu'à vingt et vingt-cinq ans, sans courir d'autre danger que celui de la perte de leur couleur.
 
Le vin rouge a bien plus de qualités que le blanc, ce dernier se buvant ordinairement en nouveau et se conservant rarement au-delà de deux ans.
En général les défauts des vins dont il s'agit, sont de devenir paille et sans couleur, après un certain temps, surtout quand ils n'ont pas assez cuvé et quelquefois de tourner, faute de les avoir parfaitement dépouillés par le moyen du soutirage, des parties hétérogènes qui occasionnent une fermentation toujours dangereuse.
En temps de paix, la consommation de ces vins se fait en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, en Danemark, en Suède et dans tout le nord de la France.
En temps de guerre, le propriétaire n'a d'autre débouché que l'intérieur de la France.
On en coupe tous les vins de bas-cru de la Bourgogne, de Beaujolais, ceux de l'Auvergne, de l'Orléanais et autres provinces au-dessus de Lyon.
 
Les vins proprement dits de la Côte du-Rhône doivent être distingués en deux.

Ceux destinés à la manipulation ou au mélange, est fournie par le territoire de Jusclam, comme première classe et par celui de Saint-Geniès-de   Comolas, comme seconde et l'autre, destinée à être bue telle quelle, c'est-à-dire, en vins colorés, se compose :
1.° des vins de Tavel, Saint-Laurent des-Arbres et de Lirac.
2.° de ceux de Laudun, Orsan, Roquemaure, Montfaucon, Codolet,  tous lesquels vins sont néanmoins susceptibles de servir, à la manipulation et au mélange, abstraction faite des vins de grenache qui, par leur nature, sont des vins de choix et de conserve, n'entrant pour rien dans la manipulation des vins et dont l'espèce n'est point cultivée à Tavel où la qualité du sol peut ne pas lui être aussi favorable.
Les vignobles, dans le deuxième arrondissement du Gard, ne sont point exclusivement concentrés sur la Côtes-du-Rhône. Nous avons déjà observé qu'on en voit beaucoup dans les cantons d'Uzès, Saint-Chaptes, Remoulins ; mais, dans ces trois cantons, le vin ne sert qu'à une consommation locale et ce qui l'excède est ordinairement brûlé.

On a lieu d'être étonné que, dans des localités si rapprochées, la nature ait mis autant de différence dans la qualité de ses productions.