Solitude.
Je viens de finir Ce que savait Maisie, roman d’Henry James (traduit chez 10/18 par Marguerite Yourcenar). Ce fut une lecture éprouvante. C’est un des livres les plus cruels que j’ai jamais lus. C’est l’histoire d’une petite fille qui, au divorce de ses parents, se retrouve ballottée d’un côté comme de l’autre, pour finalement se retrouver abandonnée de ses deux parents, monstres d’égoïsme et de sécheresse de coeur, et à nouveau devenir l’objet d’autres marchandages (beaux-parents associés subitement, gouvernantes…).
Les adultes sont tous affreux. Ils ne cessent de se tromper, de se trahir, de se déchirer, et de prendre la petite Maisie comme monnaie d’échange. Dans cette société qui tient aux apparences, ils parviennent à peine à donner le change, et c’est dans le fond tout ce qui les préoccupe.
Mais pendant ce temps là, Maisie observe, obéit, apprend à se taire, souffre sans le savoir vraiment, aime, grandit et endure. L’histoire est soit-disant racontée de son point de vue. Avec ce qu’elle sait donc. Mais justement. Quand on est enfant et que votre instinct vous fait chercher l’amour et la sécurité, comment comprendre les motifs tortueux des adultes égoïstes ? Le lecteur se perd avec Maisie. Il entrevoit quelques vérités, mais le principal des informations auxquelles il a accès est la connaissance morcelée de Maisie : comme des effets de loupe sur des détails que la sensibilité exacerbée de la petite fille ne manque pas de saisir et d’interpréter, sur fond d’un immense flou artistique quant aux mouvements plus amples des motivations souterraines des adultes.
Eh oui, que savait Maisie finalement ? On ne le sait guère, et on reste comme elle. On s’interroge, tout comme elle, croyant naïvement que la connaissance est ce qui résoudra tout : “Condamnée comme elle l’était à en savoir de plus en plus, n’était-il pas logique de penser que ce développement ne pourrait s’arrêter avant qu’elle ne sût la plupart des choses ? En fait, pendant ce moment de repos sur le sable, Maisie en vint à songer qu’elle se trouvait décidément sur la route qui mène à tout savoir. Ce n’est pas pour rien qu’elle avait eu des gouvernantes : qu’avait-elle fait de son temps depuis toujours, sinon apprendre et apprendre encore et sans cesse ? Elle contempla le ciel rose avec le paisible pressentiment que bientôt elle n’ignorerait plus rien.” On est autant qu’elle ballottée dans un ping-pong secoué par des soubresauts insondables. Comment sortira-t-elle de l’enfance, abandonnée au fur et à mesure par quasiment toutes les personnes auxquelles elle s’est attachée ? L’histoire ne le dit pas, mais on voit les ravages déjà effectués et on peut redouter le pire : “Ce ton était nouveau, aussi nouveau que le chapeau de Mrs. Wix, et il devait frapper une jeune personne à l’ouïe particulièrement sensible aux sous-entendus, surtout en ce moment où des rapports anciens se rétablissaient sur une base toute nouvelle.”
Un livre terrible.
Et qui semble, comme dans Portrait de femme, soutenir l’idée selon laquelle l’intellect et la connaissance ne font pas le bonheur. Amusant quand on pense que le romancier est considéré comme cérébral et académique…
Pour lire un avis très malin sur le livre, vous pouvez aller là.
Sylvain Jézéquel