Je m'étais assise dans cette clairière, comme à mon habitude ! J'aimais cette atmosphère paisible qui y régnait. Pour écrire, c'était certainement le meilleur endroit ! L'inspiration venait d'elle-même, je ne faisais pas le moindre effort ! Le feuillage doré des arbres, inondé par les rayons du soleil, me chuchotait au creux de l'oreille les rimes qui me manquaient. Le rythme de mes vers coulait sur mon papier, comme l'eau de cette rivière qui dansait à mes côtés. Quant au chant des oiseaux, sa mélodie me berçait dans la plus merveilleuse des symphonies et éveillait en moi ce sens de la poésie que mes proches disaient inné !
Appuyée contre un robuste bouleau, en parfaite symbiose avec mon environnement, je pouvais presque sentir la sève sous l'épaisseur de son écorce. Le vent faisait voleter mes cheveux autour de mon visage, laissant s'imprégner en moi toute la magie de ce pays dans lequel j'avais grandi ! Et ma plume courait d'un bout à l'autre du parchemin. Les phrases venaient toutes seules. Mon coeur les dictait, et ma main les écrivait. Les mots naissaient avec tant de facilité que j'en étais presque un peu effrayée ! Je n'aurais su l'expliquer, c'était ainsi, la poésie était en moi depuis mon plus jeune âge et finissait toujours par émerveiller les gens de Cornouaille, mon très cher village !
Le soleil commençait à se faire désirer. L'intensité de sa lumière diminuait, laissant dans le ciel de vague reflets rougeâtres. L'obscurité s'intensifiait à chaque minute. Je fus donc contrainte d'arrêter ma plume. Avant de ranger mon matériel et d'aller rejoindre ma monture qui paissait dans un champ, un peu plus loin, je relus mes quelques strophes :
« La nuit s'achève, le soleil doucement se met à briller
Je suis seule, dehors, bercée par la brise matinale
A côté de moi s'ouvre sous l'aurore une rose de grande beauté
Je m'empare d'elle, respirant le parfum enivrant de ses pétales
Quand je te verrai et que tu me souriras
Quand ta main saisira la mienne avec tendresse
Quand tes yeux bleus se poseront sur moi
Je t'offrirai cette rose née de la délicatesse
Pourquoi une rose, et pourquoi celle-ci
Parce que son innocence est comme mes sentiments
En pensant à toi et en voyant ton image je l'ai cueillie
Maintenant, le coeur hurlant d'amour, je te la tends
Sa couleur rouge est aussi unique que celle de tes lèvres sucrées
Provocante, nous amenant à la tentation d'un péché
Comme l'amour, elle paraît si belle et sans danger
Mais attention à ses épines qui peuvent nous faire saigner
Je t'offre une rose peut-être juste pour t'expliquer
La différence qu'il y a entre cette prétentieuse et moi
Au bout de trois jours à peine elle sera déjà fanée
Mais mon amour pour toi, durant l'éternité, il brillera
Une goutte de rosé perlant le long de sa tige vert-émeraude
Une larme cheminant sur ta joue légèrement rosie
Je l'essuie du revers de ma main au son d'une magnifique ode
La chanson que mon coeur te fredonne au creux de la nuit
Tes pensées se sont lentement tournées vers moi
Tout comme cette fleur qui s'est ouverte un beau matin
Depuis ce jour j'ai su que je laisserai des traces de pas
Qui seraient marquées par un bonheur digne de mon destin
Je t'offre cette rose simplement pour te montrer
Les choses si subtiles qui sont autour de nous
Elles envahissent la nature, peut-être pour l'égayer
Et comme mes sentiments pour toi, elles se trouvent partout »
Un sourire satisfait vint animer mon visage. Avec un léger regret de n'avoir un bien-aimé à qui dédier ses paroles. L'amour, je le connaissais si bien ! Je l'avais déjà fait évoluer dans de nombreux poèmes. Et même s'il n'avait jamais vraiment été présent dans ma vie, j'avais cette impression de le dominer !
Cette fois-ci, la nuit avait bel et bien détrôné le soleil. Je me hâtai donc vers ma monture et rentrai au village.
En voyant l'entrée de la taverne, je ne pus résister au besoin d'aller m'y détendre. Mais à peine ai-je passé le pas de la porte qu'une voix m'interpella :
« Azanaïs ! Tu tombes bien ! On m'a chargé de te dire que ton disciple n'est toujours pas arrivé. Que peut-il donc bien fabriquer ?
-Vraiment ? questionnai-je. Cela m'étonne quelque peu…Il avait l'air de beaucoup tenir à son apprentissage ! Je vais rentrer chez moi voir si on ne m'a pas laissé un message et demain, j'irai faire un tour dans le village pour prendre de ses nouvelles ! »
Sur ce, je fis demi-tour pour rejoindre ma demeure.
En tant que Barde du village, je me devais d'éduquer des disciples pour leur enseigner le noble art de la poésie. Les gens aimaient ce que je faisais, j'avais une grande renommé dans Cornouaille et les villages alentours. Il était très rare qu'un élève manque ne serait-ce qu'une seule de mes leçons ! L'absence de ce disciple avait fait naître en moi une très grande anxiété. J'étais tellement plongée dans mes songes que je ne vis même pas que j'étais déjà arrivée devant chez moi. J'abandonnai ma monture à l'écuyer, puis entrai dans ma maison.
Je fus fort surprise de voir que le milieu de la pièce était déjà occupé par un jeune garçon. Il portait une lourde cape de velours noir qui tombait jusqu'à ses pieds et cachait tout autre vêtement et éventuels bagages. Les boucles de ses cheveux bruns ruisselaient jusqu'à ses épaules telle une cascade de mèches ardentes et mettaient en valeur ses yeux d'une incroyable couleur ! On avait presque l'impression de regarder le ciel constellé d'étoiles. Un bleu si intense lui donnait cet air mystérieux et ces reflets brillants nous prouvaient la présence d'un esprit empli de malice ! Sans savoir exactement pourquoi, ce jeune homme me troublait énormément ! Son visage m'était quelque peu familier, j'étais sûre de l'avoir déjà aperçu. Je ne réussis qu'à lui articuler ces quelques mots :
« …Qui…qui es-tu ?
-Pardonnez-moi de ma venue un peu tardive chère Barde, répondit-il d'une manière très élégante. Je suis Tagore, votre disciple.
-Oh ! Bien…ta chambre se trouve juste en haut des escaliers, sur la droite, l'informai-je. Va donc t'y installer. Et rejoins-moi demain à l'aube près de la Taverne pour ta première leçon ! »
Le garçon ne discuta pas. Il se dirigea vers les escaliers, monta, et disparut. Je gardai mon regard posé sur lui jusqu'à ce que je ne puisse plus l'apercevoir. Mais où donc l'avais-je déjà vu ? Sans comprendre exactement ce qui m'arrivait, j'allai me coucher pour réfléchir un peu plus à toute cette histoire.
Le lendemain, je me réveillai avec un peu d'avance pour faire un passage à la Taverne. Je voulais absolument questionner le patron :
« Mais que m'as-tu raconté hier ? Le disciple est bien arrivé !
-Ah non ! Je regrette, rétorqua-t-il sûr de lui, ton écuyer est formel ! Personne n'est venu chez toi pendant ton absence. »
Etonnée, je sortis de l'endroit pour voir si Tagore arrivait. Il ne se fit pas attendre bien longtemps !
Quand il fut près de moi, je lui souris et lui dis :
« Suis-moi ! Je vais t'emmener dans mon endroit préféré pour écrire ! »
Il obéit sans mot dire ! Nous marchâmes côte à côte à travers le village pour rejoindre ma clairière. Pendant que nous avancions, je lui présentai les différents endroits du village. Je remarquai soudain l'expression du visage de tous les habitants que nous croisions ! Ils me regardaient d'une manière bien étrange, comme si j'étais toute seule à parler. Je les regardai sans comprendre exactement la raison de cette incompréhension. Je tournai la tête vers Tagore pour voir s'il avait remarqué quelque chose et je fus bien surprise de voir qu'il me fixait, un sourire malin sur les lèvres…Ces attitudes insolites occupèrent mon esprit jusqu'à ce que nous arrivâmes dans la forêt. Là-bas, j'oubliai tout et commençai mes explications :
« Les mots, les vers, les rimes, ne viennent pas de ta tête mais de ton coeur ! C'est ton environnement, ou la nature si tu préfères, qui te les dicte. Tu n'es, en quelques sortes, que l'intermédiaire entre la flore et ta feuille de parchemin. Etre Barde, ou poète, c'est apprendre à écouter les murmures et la magie qui émanent du chant d'un oiseau, d'une brise légère et épicée ou encore du bruissement d'un feuillage. Cherche l'inspiration autour de toi et laisse-toi aller ! C'est la seule règle à suivre.
-Il n'est pas loin, répondit-il.
-Mais…de quoi parles-tu ? interrogeai-je .
-Il est dans votre coeur. C ‘est encore un étranger, mais vous l'aimez sincèrement et ces sentiments sont réciproques. N'ignorez pas cette partie de vous qui ne demande qu'à s'épanouir, répondit-il »
Je voulus ouvrire la bouche pour le questionner d'avantage, mais au même moment, une flèche fendit l'air pour venir se planter dans son coeur ! Le garçon murmura une dernière fois :
« Il vous aime… »
Puis il tomba dans mes bras. Un flot de larmes émergea alors de mes yeux. Je criais à l'aide, mais j'avais la désagréable impression de chuchoter tellement ma gorge était serrée ! J'avais peur, je paniquais ! Personne autour de moi, et ce sang qui coulait, coulait…
Je hurlai encore plus fort, je secouai le garçon en espérant qu'il se réveille, mais je savais que tout espoir était vain ! Je pris sa tête entre mes mains, fermai doucement ses paupières, mes larmes salées se mélangeant à son sang qui coulait et déposai un simple baiser sur son front.
Soudain, j'entendis des sabots de chevaux. Des chevaliers ! Enfin quelqu'un qui pouvait m'apporter soutien et aide ! Ils se précipitèrent vers moi. L'un d'eux me demanda :
« Azanaïs ! Que se passe-t-il ? »
Que se passait-il ? J'avais entre mes bras le corps gisant de mon disciple et il me demandait ce qu'il se passait ? Je voulus tourner la tête de Tagore vers lui mais je m'aperçus avec horreur qu'il n'était plus là ! Je me levai rapidement et commençai à chercher ! Il n'avait pas pu disparaître ainsi ! C'était insensé ! Il était tout contre moi quelques minutes auparavant ! Je sentais encore son odeur ! Je me rappelai encore du baiser déposé sur son visage pâle !
Les chevaliers me regardaient perdre la tête dans ma folie ! Mes larmes continuaient de couler. Tout se mit à tourner autour de moi puis soudain… Plus rien ! Le noir complet…
Je me réveillai quelques heures plus tard. Des voix résonnaient autour de moi. Je gardai les yeux fermés pour entendre ce qu'elles disaient :
« Je ne comprends pas ce qui s'est passé ! Elle était toute seule au milieu de la clairière ! Elle avait une expression d'horreur sur son visage. Je ne l'avais jamais vu dans cet état ! On aurait dit qu'elle serrait quelqu'un entre ses bras mais il n'y avait personne ! Et elle pleurait…Les habitants du village ont dit qu'elle était bizarre quand elle était partie le matin ! Ils la voyaient parler à quelqu'un tout en allant vers la forêt ! Mais elle était seule ! Qu'est-ce qui lui arrive guérisseur ? Ce n'est pas de la folie, non ! J'en suis persuadé ! C'est quelque chose de bien plus profond, quelque chose qui doit la troubler… »
Je n'écoutai pas la suite de la discussion. Je repensai à ce qui m'était arrivé ! Ainsi, j'étais la seule à avoir vu Tagore ? Mais pourtant, il était bien là ! Je n'avais pas pu rêver !
Pendant toute ma convalescence, je ne fis que de penser à ce jeune garçon…Ce garçon que je n'avais jamais vu…Si mystérieux, mais il me semblait le connaître. Les paroles qu'il m'avait dites me revenaient inlassablement en mémoire, de même que ce visage qui ne m'était pas inconnu.
***
Ce texte, je l'avais écrit dans la Taverne de Cornouaille, mon très cher village ! Je l'ai toujours gardé chez moi, mais ma vie avait repris son cours, et j'essayais d'oublier. La blessure en moi était juste mise de côté, mais elle saignait encore abondamment. Jusqu'à aujourd'hui…
Il m'a fallu du temps pour comprendre ! J'ai passé et repassé cette histoire ainsi que les paroles de l'enfant dans ma tête. Puis, un jour enfin, j'ai réalisé…Ce garçon était à la fois mon avenir, mon présent, et mon passé ! Grâce à lui, j'ai remarqué le regard de ce chevalier qui était venu à mon secours dans la clairière. Perdue dans mes mots, mes phrases et mes rimes, j'avais oublié qu'autour de moi, il y avait un monde qui existait et dans ce monde, un homme qui ne demandait qu'à m'aimer et à me rendre heureuse. Je croyais connaître mieux que personne les sentiments ! Je les faisais marcher sur mon papier, telle une marionnette. Mais grâce à Tagore, je compris que c'était moi cette marionnette et que je refusais d'accepter la vérité, étant beaucoup trop attachée à ces fils qui me reliaient à l'écriture.
Il m'a fait comprendre que cette vérité était belle. Dieu comme elle était belle ! J'avais trouvé l'amour de ma vie, je menais une vie heureuse.
Dans les moments difficiles, j'étais soutenue par une personne qui m'aimait plus que tout. Il a été ma force quand j'étais faible. Et surtout ce triste jour où je perdis le fruit de notre union.
Mais là encore, je compris que mon enfant n'était pas vraiment mort. Au contraire, il avait été mon avenir pendant un court instant, mon présent encore moins longtemps et il restera mon passé. S'il n'est plus là physiquement, son esprit grandira, prendra de l'assurance et il veillera éternellement sur moi, me donnant toujours l'aide, le courage et l'espoir dont j'ai besoin pour avancer sur ce chemin si dur qu'est la vie…
On se lamente souvent sur notre passé, sur les erreurs que l'on a faites. Moi, j'ai eu la chance de ne jamais connaître les remords car le destin est venu me chercher en mains propres pour me conduire vers l'amour que je ne voyais pas et me faire sortir un peu de mon monde de poésie ! Un coup de pouce si insolite. Comment vous faire comprendre que le destin a mélangé mon passé, mon présent et mon futur pour m'offrir la possibilité de voir le monde autrement qu'en rime ? C ‘est une histoire tellement étrange…
Tagore, tu as été l'intermédiaire entre le destin et moi et tu m'as aidé dans la vie. Tu m'as ouvert les yeux alors que je les gardais obstinément fermés. C'est grâce à toi que j'ai rencontré l'amour et que je suis maintenant si heureuse, comblée par un mari unique qui m'offre tout ce dont j'ai besoin, même si tu n'es plus là. Je vais finir ce récit sur ces quelques derniers mots. Chers lecteurs, ne vous étonnez pas si vous ne les comprenez pas. Lui, sera sûrement touché :
« Je t'aime mon fils … »