Avec ce qu'il faut d'emphase pour ce genre d'exercice, sa lecture du texte de Genet, sans être révolutionnaire, ouvre une porte d'entrée populaire et classieuse dans l'univers du poète.
"Il se peut qu'on s'évade en passant par le toit
On dit que la Guyane est une terre chaude."
Un mot du texte d'abord : incandescent, bouleversant, ce long poème serait écrit en 1942 en réaction à un prix obtenu par un autre prisonnier pour un poème peu au goût de Genet. Le texte raconte l'histoire et donne voix à Maurice Pilorge, "assassin de 20 ans", que le poète prétend avoir côtoyé dans la prison de Saint-Brieuc. Le jeune Pilorge est condamné à mort pour avoir tué "son amant Escudero pour moins de 1000 francs". Le fait-divers a peu d'intérêt en soi, d'ailleurs Genet l'écarte pour ne se consacrer qu'au mystère de cette cruelle beauté et à l' "agonie d'Apollon" du tueur. Ce poème sonne comme une déclaration d'amour enflammée de Genet à son codétenu.
Âpre et beau, Le Condamné à mort a provoqué bien des vagues et connu quelques péripéties éditoriales. Il est vrai qu'à la thématique sulfureuse s'ajoute un style qui est lui-même une insulte à l'ordre établi. La fougue du poète, la vigueur presque bestial de son verbe et sa jeunesse se lisent, et ici s'entendent, à chaque vers. Pas de bravades à la Maïakovski, la colère est rentrée, et le récit de cet amour impossible se fait sur le ton de la confidence, comme s'il cherchait à parler au plus près, rétablir, "le plus doucement possible", la vérité du poète.
"Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour."
Le passage à la chanson n'était pas gagné d'avance mais Daho a pu s'appuyer sur l'excellent travail d'Hélène Martin qui s'était déjà frottée au texte de Genet et qui lui a concocté une "bande-originale" très fine et pertinente. La progression, lente et inéluctable, mime une marche (une exécution?) militaire et regorge d'instants extatiques joliment exploités par les récitants. Sans forcer (mais le peut-elle?) Jeanne Moreau ensorcelle avec sa voix rocailleuse et l'honnêteté sans faille de l'interprétation d'Etienne Daho fait le reste. Le texte envoute et c'est avec une grande intelligence qu'on laisse ici opérer la fascination. Le succès de ce disque est de ne pas en avoir trop fait, n'est pas Ferré qui veut.
On hésiterait presque à réécouter tout Daho pour voir si, finalement, on n'avait pas jugé le garçon trop vite. L'initiative aurait suffi à mon enthousiasme, l'essai étant transformé, j'applaudis des deux mains. On relèvera juste cette petite ombre qui entache un peu le bel ensemble. Zelnik n'est pas l'abbé Pierre mais ça ressemble un chouia à de la trahison. Passons, passons, seule la musique a de l'intérêt et cet album particulièrement.
A découvrir dans les bacs de la médiathèque et à réserver sur le portail : ici.