[France Sarkozyste] L’inspecteur des impôts sanctionné par Sarkozy a eu le dernier mot

Publié le 10 mars 2011 par Yes
par Christian Cavalli, jeudi 10 mars 2011, 11:11

[DOCUMENTS] L’ancien vérificateur lot-et-garonnais, sanctionné en 2004 par Nicolas Sarkozy pour avoir critiqué les passe-droits fiscaux, est réhabilité par la justice

À Agen, Columbo a fini sa carrière dans un placard. Le prix à payer pour sa liberté de parole.

Indignez-vous ! En 1999, l’expression qui vaut à l’opuscule de Stéphane Hessel de connaître un succès de librairie sans précédent n’était pas aussi bien portée qu’aujourd’hui. À son modeste niveau, Rémy Garnier, le vérificateur lot-et-garonnais de la direction du contrôle fiscal du Sud-Ouest, était sans doute un précurseur. Ce limier du fisc, surnommé « Columbo » par ses collègues, n’avait pas voulu se taire au moment de se plier à la décision de Christian Sautter, le secrétaire d’État au Budget du gouvernement Jospin.

Direction les oubliettes

Sur intervention de Jérôme Cahuzac, le député PS de Villeneuve-sur-Lot, qui se pose aujourd’hui en champion de la rigueur fiscale, le redressement de 450 000 euros notifié à la coopérative France Prune avait été effacé. En avisant les dirigeants de l’entreprise, Rémy Garnier n’avait pu s’empêcher d’écrire qu’il maintenait ses observations, validées en leur temps par sa hiérarchie. Deux ans plus tard, ces quelques mots transmis à ses supérieurs par l’avocat de France Prune lui avaient valu un aller direct pour les oubliettes.

Placardisé, l’agent du fisc n’avait pas abdiqué. Il avait alimenté en interne, via des messageries et des courriers, un débat très citoyen sur les atteintes à l’équité fiscale. Avec à la clé quelques exemples locaux ayant trait au rugby agenais, à la société fondée par le père de Laurence Parisot, l’actuelle présidente du Medef, ou à l’ancien procureur de Marmande allergique au paiement de l’impôt sur le revenu. Pour faire tomber ce vent de rébellion, la hiérarchie du fisc s’était acharnée sur celui qu’elle couvrait encore d’éloges quelques années plus tôt.

En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, avait exclu pour une durée de deux ans, dont un avec sursis, le trublion du pays du pruneau. De retour dans son corps, le vérificateur avait été trimballé de service en service avant d’être littéralement oublié.

« Fantôme du placard », pouvait-on lire quelques mois avant son départ à la retraite sur la porte du bureau qu’il occupait à Agen, où jamais le téléphone ne sonnait. La dépression, le silence et l’aigreur auraient pu le submerger. Mais l’homme avait de la moelle.

Patiemment, le plus souvent seul, parfois aidé par son avocat, Me Michel Gonelle, il a fait annuler par la justice toutes les sanctions qu’on lui avait infligées. La cour administrative de Bordeaux vient de renvoyer définitivement l’administration fiscale dans les cordes en jugeant « disproportionnée » la mesure d’exclusion qu’elle avait prise. « Il n’est pas avéré que M. Garnier, qui était animé par le souci de défendre une application rigoureuse de la loi fiscale, ait diffusé en dehors des services fiscaux des informations couvertes par le secret professionnel et qu’il ait eu l’intention de jeter le discrédit sur l’administration fiscale en général », soulignent les magistrats.

Passe-droit

« Au moment où on cherche un peu plus d’éthique dans le fonctionnement des pouvoirs publics, cette affaire révèle une caricature que la démocratie ne devrait plus tolérer. Ces passe-droits fiscaux relèvent de pratiques d’un autre âge », insiste Me Michel Gonelle. Devant les juges, le vérificateur a produit deux documents édifiants, deux lettres rédigées en 1999, sans doute par la fameuse cellule fiscale de Bercy qui rabote et efface dans l’opacité la plus totale les ardoises fiscales.

Écrites à trois mois d’intervalle, ces deux lettres se contredisaient. La première, restée à l’état de projet, informait Jérome Cahuzac du maintien du redressement en dénonçant « les pratiques » de la coopérative. La seconde, signée du ministre et adressée au parlementaire, soulignait qu’« en définitive » les opérations menées par l’entreprise ne s’écartaient pas d’« une gestion normale ». Comprenne qui pourra (lire documents ci-dessous) !

Dix ans de vie passés au laminoir, une progression de carrière et des droits à la retraite rognés, la solitude du paria sur les épaules. Le bras de fer n’a pas eu lieu sur un tapis de roses. « C’est une victoire à la Pyrrhus », lâche Columbo. De retour devant le tribunal administratif, l’ancien vérificateur réclame à l’État 600 000 euros de dommages et intérêts, dont 40 000 euros de préjudice moral pour les humiliations, les brimades et les vexations endurées. « J’ai même eu droit à un contrôle fiscal pendant deux ans pour trois francs six sous. » Mais là n’est sans doute pas le plus cruel. Pour un homme qui avait toujours cru que l’impôt était le ciment du vivre ensemble, la conclusion est aussi acide qu’un citron vert. « Il n’existe plus aujourd’hui de contrôle fiscal digne de ce nom. »