Par Jean-Yves Naudet
Xavier Bertrand, ministre du travail et de l’emploi, n’a pas caché sa satisfaction sur TF1, avant même la parution des chiffres officiels : « La baisse du chômage a été importante au cours du mois de janvier ». Le lendemain, le ministère annonçait 19 300 chômeurs de moins, soit un recul de 0,7%. Faut-il pavoiser ? Ce serait oublier que le calcul du nombre de chômeurs est complexe et qu’il faut se garder d’accorder de l’importance à l’évolution d’un seul mois. Mais les querelles de chiffres ne doivent pas faire oublier l’essentiel : le marché de l’emploi est très dégradé en France et aucune mesure sérieuse de redressement n’a été prise.
Baisse en un mois, hausse en un an
Les statistiques sont souvent présentées comme la « forme suprême du mensonge ». Disons au moins qu’il faut savoir les lire et comprendre leur signification. Or, contrairement aux apparences, il n’est pas facile de définir un chômeur et d’en mesurer le nombre. Il suffit d’ajouter tel ou tel critère (comme le nombre de démarches de recherche d’emploi, la recherche d’un travail à temps plein et non à temps partiel, etc.) pour avoir des résultats différents. Faute d’enquêtes complètes, qui ne sont réalisées qu’une fois par an, on s’en tient en France habituellement aux statistiques administratives : le nombre d’inscrits au Pôle emploi, à une date précise, en général le dernier jour du mois.
Les statistiques commentées par le ministre portent sur le nombre de chômeurs inscrits au 31 janvier 2011 (il faut un mois pour connaître ce chiffre). Fin janvier, il y avait 2 703 200 demandeurs d’emploi. Effectivement, il y a bien eu un recul par rapport à décembre de 19 300, soit 0,7% de moins. Oui, mais voilà, en novembre et décembre le chômage avait augmenté de 38 200 personnes ; le recul de janvier doit donc être relativisé. Cela montre le caractère peu significatif des chiffres conjoncturels, qui fascinent pourtant nos hommes politiques. Le mois prochain, on aura peut-être une hausse ou une baisse, qui sait ? De plus les chiffres sont parfois rectifiés, ce qui a été précisément le cas pour décembre.
(Illustration René Le Honzec)
Il faut donc se donner du recul et examiner les choses sur une durée plus longue, par exemple un an. Cette fois, la perspective change, puisqu’en un an le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 1,4%. Certes, ce n’est pas explosif, mais on partait d’une situation déjà très dégradée, la tendance ne s’est donc pas encore inversée.
A y voir de plus près, on observera que le chiffre de 2.703.200 chômeurs est celui de personnes inscrites en catégorie A, c’est-à-dire que ceux qui n’ont pas travaillé, même une seule journée, au cours du mois de janvier. Mais ceux qui auraient travaillé ne serait-ce qu’un seul jour ne sont pas dans la catégorie A : n’en sont-ils pas pour autant « au chômage » ?
A, B, C ? De 2,7 à 4,3 millions !
C’est qu’en matière de statistiques du chômage tout dépend des catégories que l’on prend en compte. Les catégories B et C concernent les personnes ayant eu une activité réduite au cours du mois, soit moins de 78 heures (B), soit plus de 78 heures (C). Elles n’en sont pas moins au chômage à la fin du mois. Du coup le décor change : on passe d’un coup à 4 045 200, ce qui est autrement impressionnant. Ce chiffre, lui, n’a pas varié en janvier et en un an, sa hausse est sensiblement plus forte : + 4,4%.
Enfin, si on veut cultiver le pessimisme, on précisera que ces chiffres ne portent que sur la métropole et qu’en aboutant les départements d’outre-mer on arrive à 4 303 700.
Voilà qui devrait inciter à la prudence dans l’exploitation, notamment politique, des statistiques : 2,7 millions ou 4,3 millions, ce n’est pas la même chose, bien que la source soit la même, c’est une marge de 1,6 millions de personnes.
Enfin, et non le moindre, les chiffres en question mesurent le « stock » de chômeurs mais ne disent rien des « flux ». Si le nombre de chômeurs semble rester à peu près stable, comme cela a été le cas en janvier pour l’ensemble A, B, C, cela cache en réalité près de 350 000 « nouveaux chômeurs » d’un côté et pratiquement le même nombre de chômeurs qui ont quitté pôle emploi, parce qu’ils ont trouvé du travail ou une formation ou une retraite.
Le nombre d’emplois n’est pas un stock à partager
Cette dernière remarque montre qu’il faut se garder d’une vision statique du marché du travail. En réalité, il y a un mouvement permanent de création et de destruction d’emplois, et non un nombre stable et immuable d’emplois disponibles. Trop souvent notre politique de l’emploi mène des combats d’arrière garde perdus d’avance. On soutient artificiellement des emplois condamnés par l’évolution économique, c’est-à-dire par les libres choix des clients et l’apparition de produits ou services. Il vaudrait mieux favoriser la création toujours plus nombreuse d’emplois nouveaux, faisant plus que compenser les pertes naturelles d’emploi. Soutenir l’emploi en déclin est un gaspillage de ressources rares. Partager le travail comme si l’emploi était donné une fois pour toutes est un reflexe malthusien, sans rapport avec le réel.
De la même façon, la persistance d’offres d’emplois non satisfaites et de demandes d’emplois montre une inadaptation de la formation et de notre système éducatif aux besoins de l’économie. L’existence d’un nombre très élevé de jeunes au chômage, par exemple, ou d’autres catégories spécifiques, montre qu’hélas on n’est pas en présence d’un chômage conjoncturel. Certes, il existe un chômage conjoncturel quand l’activité générale se ralentit (reste d’ailleurs à savoir pourquoi) et dans ce cas tout le monde est traité de la même façon : mais la différence de taux de chômage d’un groupe à l’autre montre bien que le chômage de certains est structurel, dû au dysfonctionnement du marché du travail.
Si le marché du travail était un marché libre, il n’y aurait pas de chômage autre que celui résultant des frictions de la vie économique (le facteur travail n’est pas parfaitement mobile). En effet, sur un marché, avec une offre, une demande et un prix libre (ici le salaire), il n’y a pas de déséquilibre quantitatif, du type chômage, puisque l’ajustement se fait par les prix (variation du salaire). Comme l’a montré la Nouvelle Lettre et Libres.org la semaine dernière, l’existence d’un SMIC artificiellement fixé et d’un niveau élevé sans relation avec la productivité empêche cette autorégulation du marché du travail et créé du chômage.
Enfin, l’existence de cotisations sociales extrêmement élevées (80% du salaire net) vient perturber le mécanisme, puisque le salarié réagit en fonction du salaire net (le salaire direct) alors que l’employeur est sensible au coût salarial (plus élevé de 80%). On soutient que la protection sociale constitue un salaire indirect, mais le salarié ne peut s’en satisfaire, car il ne bénéficie pas de cette protection tant qu’il n’est ni malade ni retraité. Voilà pourquoi il faut militer en faveur du « salaire complet », c’est-à-dire verser au salarié la totalité de ce à quoi il aurait droit si on ne retenait pas les charges sociales, à charge pour lui, enfin dûment informé, de payer sa protection sociale au prix qui lui conviendrait.
La marché du travail doit redevenir un marché libre
Mais il ne suffit pas de libérer le prix du travail. Il faut aussi que l’offre d’emplois (demande de travail) existe et puisse s’exprimer et que la demande d’emploi (offre de travail) puisse s’y adapter. Tout ce qui empêche les entreprises, qui sont les seules vraies créatrices d’emplois, d’embaucher ou de licencier librement diminue la création d’emploi. Toutes les contraintes sociales, fiscales et administratives freinent leur capacité à créer des emplois. Tout ce qui réduit artificiellement leur rentabilité et leur compétitivité, à commencer par l’impôt et plus généralement les prélèvements obligatoires, réduit d’autant la création d’emplois.
Du côté des salariés, l’inadaptation des formations à la réalité du marché du travail est un facteur de chômage : le simple développement de la formation par alternance en Allemagne explique le nombre beaucoup plus faible de chômeurs chez les jeunes allemands. Tout ce qui maintient artificiellement les personnes au chômage, par des indemnités trop longues ou trop élevées entraîne une durée plus longue du chômage, donc une augmentation de celui-ci. Si l’on gagne autant, voire plus, au chômage qu’en travaillant, à quoi bon ?
La question n’est donc pas de se battre sur 0,7% de chômeurs en plus ou en moins. Elle est de savoir si on a pris la mesure de ce qu’impliquerait une vraie politique de lutte contre le chômage : libérer le marché du travail et les salaires, libérer les entreprises des contraintes qui pèsent sur elles. L’Allemagne s’y est attaquée depuis longtemps : le chômage ne cesse d’y reculer. En France les gouvernants préfèrent, par peur des syndicats ou par colbertisme, maintenir la main mise de l’Etat sur l’économie. Cela se paie par moins de croissance et plus de chômage. L’autosatisfaction de nos ministres ne change rien à cette réalité.