North Stream et South Stream : Gazprom et la tactique de la tenaille
Publié le 10 mars 2011 par Infoguerre
A l'heure où les prospections de gaz et huiles de schiste se multiplient à travers l'Europe, les deux projets de gazoduc amenant le gaz naturel liquéfié (GNL) russe vers l'Europe (en évitant l'Ukraine…), se finalisent. Un itinéraire nord, bientôt en service et un itinéraire sud, qui lui à plus de mal à s'imposer. L'intérêt de la Russie est la mise en service rapide de ces deux itinéraires gaziers pour approvisionner l'Europe. Mais un engouement certain pour les sources d'énergie non conventionnelle, en l'occurrence les gaz et huiles de schiste, vient mettre du sable dans les rouages de la machine Gazprom. Serait-ce là les prémices d'une guerre économique de l'énergie?
Les ambitions de la Russie
Le gazoduc Nord Stream, actuellement en construction dans la mer Baltique et qui doit être mis en service d'ici à la fin de l'année, relie la Russie à l'Allemagne via les eaux finlandaises, suédoises et danoises. La section terrestre russe est construite par Gasprom. Quant à la section se trouvant en mer Baltique, elle sera gérée par North Stream AG (51% Gazprom ; 15,5% BASF ; 15,5% EON ; 9% GDF Suez ; 9% Gasunie). Ensuite, le nouveau gazoduc sera relié aux différents gazoducs existants déjà à travers l'Europe.
Quant à l'itinéraire sud, le South Stream, dont la mise en service est prévue en 2015, doit relier la Russie à l'Autriche et l'Italie, en passant par les eaux turques de la mer Noire, la Bulgarie puis la Serbie. Ce projet a beaucoup de mal à s'imposer du fait que l'Union européenne soutenait le projet Nabucco qui avait pour ambition de relier l'Iran à l'Europe centrale. Mais la dernière visite du premier ministre russe, Vladimir Poutine, à Bruxelles semble avoir convaincu les instances européennes à revoir leur copie au bénéfice du projet South Stream. En effet, le 24 février 2011, lors d'une conférence de presse à la Commission européenne, Sergueï Shmatko, ministre russe de l'énergie, a annoncé que Vladimir Poutine et le commissaire européen en charge de l'énergie, l'allemand Günther Oettinger, s'étaient mis d'accord sur l'organisation d'une présentation du projet de gazoduc South Stream à Bruxelles en avril 2011. Une décision qui réconforte les investisseurs prenant part au projet (40% Gazprom ; 40% ENI ; 20% EDF), majoritairement issus de l'Union européenne, contrairement à ceux de l'itinéraire nord.
Les ambitions paneuropéennes des deux projets North et South Stream sont mises en avant par la Russie : un argument qui ne laisse pas indifférentes les instances décisionnelles de l'Union européenne. Soit deux itinéraires qui non seulement contribuent à l'approvisionnement en gaz des pays de l'Union européenne mais également qui mettent en avant l'idée d'un pan-européanisme dirigé vers la Russie. Qu'en sera-t-il réellement?
Des manœuvres informationnelles à suivre avec attention
L'engouement, dans un contexte d'augmentation fulgurante du prix du pétrole, pour les énergies non conventionnelles se fait de plus en plus sentir en Europe et notamment en France. Il s'agit des prospections en vue de l'exploitation de gisements d'huiles et de gaz de schiste. Ce type de ressources énergétiques est déjà largement exploité aux États-Unis. Leur exploitation outre-atlantique a même crée un surplus énergétique que les États-Unis exporte vers l'Europe via le port de Grain Island, à l'est de Londres notamment. Il pourrait en aller de même pour les pays européens qui, selon les capacités des gisements, pourraient atteindre l'autosuffisance énergétique (certaines sources citent 90 ans de suffisance énergétique possible en France). C'est toute la carte géostratégique européenne qui pourrait être redessinée. L'exemple de la Pologne, très dépendante de la Russie pour son approvisionnement en énergie, selon les premières prospections, détiendrait d'immenses réserves en gaz de schiste. Il s'agit d'un enjeu mondial de taille en matière de commerce, de transport, de puissance,… en terme d'énergie.
En France, une mobilisation et une contestation de plus en plus importantes se mettent en place à l'encontre des prospections sur les sites de potentiels gisements de gaz et d'huiles de schiste. Une « Coordination nationale contre la prospection des gaz de schiste » s'est récemment mise en place. Elle regroupe des collectifs, ONG, associations en tout genre, principalement actifs en matière de défense de l'environnement. Cette coordination nationale communique abondamment sur les risques environnementaux qu'induisent l'exploitation des huiles et gaz de schiste. L'argument se concentre sur la méthode utilisée pour l'exploitation : la fracturation hydraulique. Ce procédé consiste en l'injection d'eau sous pression, additionnée de sable et d'additifs chimiques afin de fissurer le schiste qui emprisonne le gaz et de favoriser ainsi sa remontée à la surface. Pour les opposants à ce type d'exploitation, l'eau souillée et les additifs chimiques, pourraient polluer les nappes phréatiques. Or un rapport de Institut Français du Pétrole (IFP-Energies nouvelles) indique que les eaux utilisées pour la fragmentation hydraulique peuvent facilement être récupérées, traitées et réutilisées. De plus, toujours selon le même rapport, la fracturation hydraulique a lieu beaucoup plus bas que le niveau où se trouvent les nappes phréatiques. Il semblerait donc que les revendications de la « Coordination nationale contre la prospection des gaz de schiste » ne soient pas scientifiquement fondées. En tout état de cause, ces diverses contestations freinent les projets des prospecteurs (Toreador, Total, GDF-Suez, Vermilion, Schuepbach,…). Pourrait-on avancer une possible influence des producteurs de gaz naturel, tentant une action pour maintenir le marché tel qu'il est à l'heure actuelle et tel qu'ils voudraient qu'il soit demain?
Les deux projets de gazoduc North et South Stream, dans lesquels la Russie a des intérêts plus que conséquents, d'un point de vue géographique, stratégique, mais aussi économique, prennent l'Europe en tenaille. Pour le stratège, le principe de la prise en tenaille est d'attaquer l'ennemi par deux points différents. Ici, c'est la prospection en vue de l'autosuffisance européenne qui semble être prise en tenaille par les projets d'origine russe. Le gaz de schiste et son exploitation est et sera pour longtemps le ferment d'une guerre économique de l'énergie au sein de laquelle les opérations d'influence seront prépondérantes. La vigilance et la coopération des États européens sont d'ores et déjà nécessaires : l'enjeu en est la puissance énergétique européenne.
S.M
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