Du Fu ou un instant de romantisme chinois

Publié le 10 mars 2011 par Aurélien
Du Fu (杜甫)  est le Poulidor de la poésie chinoise. Il est celui qui confine à la perfection, mais la perd en la cherchant trop. Sa poésie est élégante, raffinée, délicate, morale; (presque) tout le contraire du ton spontané et du mépris des conventions qu'affecte son ami Li Bai, prince des poètes chinois.
A l'occasion, cependant, Du Fu se lâche un peu et, comme c'en était la mode à l'époque, joue les poètes ivres et désargentés. C'est le cas dans la deuxième section du "Poème de la rivière Qu [courbe]" (曲江二首)
Voici le poème et trois traductions:
朝回日日典春衣,每日江头尽醉归。
酒债寻常行处有,人生七十古来稀。
穿花蛱蝶深深见,点水蜻蜓款款飞。
传语风光共流转,暂时相赏莫相违。
Traduction mot-à-mot:
朝回 - 日日 - 典 - 春衣
Revenir - jour-jour - mettre en gage - habis de printemps
每日 - 江头 - 尽 - 醉 - 归
Chaque jour - fleuve - extrêmement - ivre - revenir
酒债 - 寻常 - 行处 - 有
Dettes de boisson - commun/ordinaire - partout- avoir
人生 - 七十古 - 来 - 稀
Vie d'un homme - soixante-dix ans - atteindre - rarement
穿 - 花 - 蛱蝶 - 深深 - 见
Passer - fleur - papillon - profondément -  être présent
点水 - 蜻蜓 - 款款 - 飞
Marcher sur l'eau - libellule - doucement - volent
传语 - 风光 - 共 - 流转
Transmettre (une info) -  paysage - ensemble - s'attarder
暂时 - 相赏 - 莫 - 相违
Temporaire - apprécier/profiter - ne pas - aller contre/se séparer
Traduction en bon français:
Chaque jour après labeur, je donne une tunique en gage;
Chaque soir je vais au fleuve, j'en rentre ivre mort.
J'ai partout des dettes d'alcool -
Peu d'hommes vivent jusqu'à soixante-dix ans.
Les papillons s'enfoncent dans les massifs de fleurs,
Les libellules bourdonnent à la surface de l'eau.
Ecoutez la nature: attardez-vous!
L'heure est brève, aimez et jamais ne vous séparez!
Traduction en français comme qu'on le cause aujourd'hui:
Tous les jours après l'boulot, j'vais dépenser mes sous,
Tous les soirs je sors en boite et j'rentre beurré comme une huître.
Mon banquier n'veut plus m'parler, j'suis trop dans l'rouge,
Mais à quoi ça m'servirait d'attendre la retraite pour vivre?
Les papillons voltigent dans les massifs de fleurs,
Les libellules bourdonnent sur l'eau.
Et bien écoute-les:
La vie est courte, aime sans te retourner!
Ca rappelle quand même franchement notre bon vieux Lamartine national:
"Aimons donc, aimons donc ! De l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "