Bref, voilà comment je ne devins pas le fugace détenteur d'une oeuvre de Forain qui, toute sa vie, s'emporta par des traits vifs et des couleurs mordantes contre ceux qu'il considérait comme les exploiteurs du peuple. Tout cela était sans doute dû à une jeunesse pauvre et frustrante dont il ne régla jamais les comptes, quand bien même il était devenu académicien des beaux-arts et porteur de peaux d'âne épaisses.
Ainsi, fort longtemps, le drame artistique de Forain fut qu'il mêla représentation et dénonciation sociales sans jamais choisir sa voie. Daumier, son maître en esprit, tout en dénonciation, se jouait totalement des formes et parvint à des résultats plus convaincants que Forain qui, jusqu'à la quarantaine bien tassée, ne présentait pas de style stable et personnel. Degas, un autre de ses maîtres, fit taire très vite son goût pour la dénonciation et utilisait au contraire les situations humaines - le milieu de la danse par exemple - comme le simple support de ses recherches formelles. Après tout, nous ne sommes que des formes et c'est le mérite de l'art de nous le rappeler.
Ce n'est qu'après le spectacle des horreurs de la première guerre mondiale, une crise mystique et un fourvoiement politique dans l'anti-dreyfusisme que Forain, dans les dernières années de sa vie, se débarrassa du fardeau de l'engagement pour, par des tableaux directs et violents, dans des bouges et des cabarets, aller droit au but : peindre la rage que les hommes ont à vivre.