Le voilà le Bosphore.
Je l’ai traversé il y a trois ans, ce détroit mythique qui coupe Istanbul, ville incroyable, en deux : une part occidentale, l’autre orientale. Le Bosphore est plein de contradictions et de télescopages, comme Istanbul : romantique, mélancolique, embrumé, pollué mais vous pouvez y croiser des dauphins (si, si), sillonné de touristes hypes de toutes provenances et de chalands authentiques, la clope au bec. D’un côté Topkapi et ses siècles d’Histoire fastueuse qui font rêver aux Sultans et à leurs raffinements, de l’autre, l’âpreté d’un quartier de pêcheurs et de badauds, buvant leur thé à la pomme.
Pour appréhender le Bosphore, si on ne peut y aller, il faut lire Orhan Pamuk, qui en parle avec intelligence et amour. Sinon, on peut aussi s’asperger d’une eau très inspirée de L’Artisan Parfumeur : La Traversée du Bosphore.
Ce parfum composé par Bertrand Duchaufour s’ouvre sur une note de cuir puissante (hommage aux tanneries d’Istanbul), associée immédiatement à l’acidité revigorante d’une pomme verte. Mais celle-ci est immédiatement contrebalancée par un voile de poudre sucrée, comme celle que l’on trouve sur les fameux loukhoums, aussi beaux que bons. D’ailleurs, le parfum semble se revendiquer ensuite comme une véritable gourmandise : certes, on trouve des notes florales (iris, grenade ou tulipe), mais la pomme, le sucre, le gingembre, l’amande, la vanille et la pistache se chargent d’enrober la peau d’un suave élixir, généreux. Car Istanbul est une ville sucrée. Les Turkish Delights ne sont pas des mythes. Pas une rue sans un appel pour vos papilles, thé, loukhoums à la rose, à la pistache, étalage de dattes fourrées, de bonbons sophistiqués et colorés.
Mais à Istanbul comme avec La Traversée du Bosphore, vous ne serez pas écoeurés pour autant, assaillis par tant de douceurs. Car ces lieux (et l’omniprésence du cuir pour le parfum) assurent l’ancrage terrestre, l’ossature moderne et intemporelle à la fois d’un sillage qui ne se ramollit pas sous le glucose. La douceur de cette gourmandise est juste un appel au rêve, au voyage, intrinsèque à ce détroit et à ses riverains malicieux, comme la fumée qui se déploierait paresseusement au dessus d’un narguilé…
Photographie personnelle en haut.