Mais ironiquement, c'est la même technologie que tout le monde a applaudie dans les révolutions du monde arabe -l'accès à Facebook, Twitter, etc.-, celle qui nous a permis d'apprendre que les ouvriers de chez Foxconn, une usine de production d'appareils dans la ville chinoise de Shenzhen, se suicident en sautant au vide depuis le haut des immeubles de ce conglomérat de production d'iPad à la chaine.
Statistique normale ou constat d'une terrible réalité ? Des suicides, il y en a malheureusement toujours, dans toutes les couches sociales et dans tous les pays (ou presque -c'est un autre débat). Mais le fait de revêtir d'une toile de sureté tous les bâtiments de la zone de libre-échange que le gouvernement chinois avait créée pour stimuler la production nous fait froids dans le dos. Chers messieurs les ouvriers, vous êtes priés de ne pas vous suicider dans nos installations, merci...
Combien de suicides, c'est beaucoup ? Dans l'usine de Shenzhen, ils comptent 11 ouvriers qui ont sauté au vide en moins d'un an. Le décomptage non officiel parle de 17 employés tués si nous prenons compte de toutes les usines de Foxconn, dans les derniers 5 ans.
Car Foxconn -une entreprise complètement méconnue par les occidentaux jusqu'aux suicides-, est la responsable de presque 40% du marché mondial de parts électroniques, c'est-à-dire, 40% de 150 milliards de dollars par an. C'est l'entreprise privée la plus grande de Chine : elle emploie presque un million de personnes, dont la moitié travaille dans l'usine de Shenzhen.
C'est pourquoi la situation est si délicate, ce qui a amené Foxconn et ses partenaires -notamment Apple- à essayer de maitriser la communication autour de la situation, pour éviter d'être étiquetés d'exploiteurs. La liste lugubre de faits tirés presque d'un film militant de Ken Loach est choquante : lorsqu'un des ouvriers a sauté au vide et laissé une lettre expliquant qu'il voulait ainsi subvenir aux besoins de sa famille, le programme de subventions à la famille des ouvriers a été annulé.
Néanmoins, ami lecteur, il est peut-être temps de réfléchir au fait que les prix très bas de nos appareils électroniques ont une explication logique, et qu'il se peut que ces gens-là, ceux qui sont à l'autre bout du monde en train de fabriquer nos tablettes et nos téléphones, soient ceux qui font le sale boulot.
Pour l'instant, il est trop tôt pour se prononcer, et ce n'est pas notre travail de fixer une position par rapport aux drames dans l'usine de Foxconn. Cependant, nous pensons que l'accès plus égalitaire à la technologie, c'est-à-dire l'émancipation donnée par l'Internet, ne peut en aucun cas s'ériger sur l'oppression d'autres êtres humains.
Voilà une petite pensée pour ces gens.