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Quelle inflation ?

Publié le 09 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Elle est là, et bien là. Les lecteurs de la Nouvelle Lettre, instruits depuis plus d’un an par les chroniques de Jean-Yves Naudet, ont eu la primeur de son annonce. Naguère les médias, la classe politique, voire certains économistes, redoutaient la déflation. Selon eux la rigueur (toute relative) des finances publiques allait casser la relance, et la politique restrictive de la Banque centrale européenne priverait l’économie européenne des crédits dont elle aurait besoin.

Maintenant, tout le monde s’affole de la hausse mondiale des prix et, comme elle est concomitante des révolutions arabes, l’explication vient immédiatement à l’esprit : c’est la flambée du prix du pétrole, malencontreusement doublée d’une mauvaise récolte de céréales, qui est à l’origine de l’inflation. L’avantage de cette présentation est d’attribuer l’inflation à un choc extérieur à la politique menée par les gouvernements, et d’innocenter ceux qui depuis deux ans ont multiplié les politiques de relance avec des déficits budgétaires inégalés.

Une série d’articles dans le Wall Street Journal, et en particulier ceux de Gerald O’Driscoll, qui a été professeur à New York University et vice-président de la Banque fédérale du Texas, nous ramène à la vieille querelle entre inflation réelle et inflation monétaire. Inflation réelle : c’est une variation des coûts de l’offre ou un emballement de la demande qui aboutit à la hausse durable du niveau général des prix à la consommation. Inflation monétaire : aucune variation globale de l’offre ou de la demande ne dégénère en hausse durable et générale des prix si le verrou monétaire est tiré, si les banques centrales n’ouvrent pas les vannes de la création monétaire et du crédit. Pour payer le pétrole plus cher, il faut en avoir les moyens, et on ne voit pas comment soudainement les entreprises et les ménages trouveraient les fonds nécessaires. Il faudrait qu’ils puisent dans leur épargne (ce qu’ils ne font pas en période de trouble et ce qui compromettrait la croissance à moyen terme) ou qu’ils recourent au crédit.

Il est incontestable que la FED a fait tourner à fond « la planche à billets ». On appelle cette masse monétaire M1, ou mieux encore « monnaie de base », car cette soudaine abondance de liquidités va permettre aux banques commerciales (dites « de second rang ») de bâtir une pyramide de crédits ayant pour base M1 et pour hauteur un « multiplicateur » de sorte que la pyramide, appelée M2 aura un volume très supérieur à M1. Pourquoi un multiplicateur ? Parce que les banques ne craignent plus de se lancer dans des opérations de crédits plus audacieuses, sachant qu’à tout moment, elles peuvent se refinancer en achetant des liquidités à la banque centrale pour un taux d’intérêt très faible, aujourd’hui proche de zéro.

Or, visiblement, il n’y a pas d’inflation ouverte aux États-Unis, et les banques américaines n’ont pas gonflé M2 dans des proportions inhabituelles. Ménages et entreprises ne se sont pas lancés dans un délire de crédits à la consommation ou à l’investissement. C’est exact, et cela justifierait la gestion de Ben Bernanke, qui soutient que l’inflation n’existe que si la population anticipe la hausse des prix. Or, apparemment, les Américains continuent à faire confiance au dollar et n’ont pas globalement anticipé sa chute, de sorte que la croissance de M1 n’a pas pesé sur les prix.

Mais O’Driscoll fait remarquer que le dollar n’est pas seulement la base de la circulation monétaire aux États-Unis, il l’est aussi dans le monde entier, parce que des banquiers chinois, indiens, ou d’ailleurs ont des excédents de dollars considérables entre les mains. Et eux ne se privent pas de gonfler leurs crédits et de prêter sans considération, de sorte que l’inflation américaine s’est « exportée ».

Nous sommes revenus aux années 1970, au bon vieux temps des eurodollars, lorsque les Européens payaient la facture de la dépréciation du dollar. À l’époque le Secrétaire d’État au Trésor John Connally avait employé une formule cynique mais réaliste : « c’est notre monnaie, mais c’est votre problème ». Exporter l’inflation permet aux Américains de continuer à importer à bon compte les produits du reste du monde, permettant de satisfaire la demande interne sans hausse majeure des prix. Ils payent leur déficit commercial en dollars, qui se répandent dans le monde entier et créent partout des tensions inflationnistes explosant à la première occasion.

Quelle inflation ?

(Illustration René Le Honzec)

Comme l’a remarqué George Melloan (Wall Street Journal) l’inflation s’est déclarée bien avant la flambée du pétrole ou la sécheresse dans beaucoup de pays du monde. La hausse des prix était passée entre 2006 et 2009 de 5% à 18% en Egypte, de 13 à 35% en Iran, elle atteint maintenant 5,5% à Singapour et 12% au Vietnam. Il en tient la FED pour seule responsable.

La conclusion de cette analyse est triple :

1° les responsables de l’inflation sont bien les autorités monétaires et, derrière elles, les gouvernements qui ont financé déficits et relances par la création inconsidérée de monnaie. Comme le disait Friedman « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ».

2° l’exportation de l’inflation par les Américains demeurera possible tant que le dollar sera considéré comme la base du système monétaire international, parce que le billet vert demeure en dépit de sa mauvaise gestion la monnaie la plus utilisée et la plus fiable du monde (l’euro n’est plus un concurrent sérieux).

3° Il est vain de chercher à réformer et contrôler le marché des matières premières, comme le souhaite le G20, puisque leur hausse n’est pas la source de l’inflation, mais la conséquence.


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