La satisfaction est de mise : EADS relčve la tęte et annonce un bénéfice net de 553 millions d’euros pour l’exercice 2010. Un résultat qui suscite le soulagement, au lendemain de moments difficiles, mais qui confirme, si besoin est, que le monde de l’aéronautique et de l’espace, envahi de coűteux paradoxes, n’est absolument pas rentable. Une remarque qui s’applique ŕ ses deux principales composantes, l’industrie et le transport aérien.
Dans cette optique, EADS est exemplaire. Ce puissant groupe, fort d’un chiffre d’affaires de prčs de 46 milliards d’euros et d’un imposant carnet de commandes de 448 milliards, affiche un bénéfice d’un niveau tout ŕ fait symbolique. Et peu importent les circonstances atténuantes, qu’il s’agisse du dollar faible et de l’euro fort, de l’échec de l’entrée en production de l’A380 ou encore des graves difficultés de l’A400M. Demain, ce sera autre chose. D’oů une valse de milliards d’euros et, dans un monde obsédé par le retour sur investissement, de tout petits résultats.
Au męme moment, l’IATA crie ŕ nouveau aux loups, suscite la panique en constatant que le prix du pétrole s’envole ŕ nouveau et prédit sans plus attendre une forte dégradation des résultats financiers des principales compagnies aériennes. Outre le fait que ce ton emphatique n’impressionne plus personne, ce n’est pas pour autant qu’Airbus et Boeing ne vendront plus d’avions pendant la traversée d’une nouvelle zone de turbulences. Il suffit d’ailleurs de noter l’importance de commandes signées ces jours-ci, ŕ commencer par la centaine d’A320 et A321 NEO achetés par le loueur ILFC, les A330-300 destinés ŕ Iberia, THY et Cathay Pacific. Ou encore les succčs récents de Boeing, dont les 747-8 achetés par Air China.
Les compagnies, malgré leurs finances fragiles et un avenir ŕ tout moment obscurci, continuent de progresser. Dans le męme temps, les avionneurs, leurs principaux fournisseurs, marchent sur des œufs en se demandant de quoi l’avenir sera fait. Etonnant, sans effet d’accoutumance.
On en revient encore et encore au męme constat : stabilisation et rentabilité durables sont apparemment hors de portée. Mais le Ťcasť EADS va plus loin. Ce groupe de 121.700 personnes, joyau du complexe militaro-industriel européen, bien mené, ne bénéficie toujours pas d’un environnement apaisé. En témoigne la requęte que le président du Conseil économique et social de Midi-Pyrénées vient d’adresser au Président de la République. Jean-Louis Chauzy réclame en termes choisis le soutien de Nicolas Sarkozy en vue d’une recomposition réaliste du capital du groupe.
Pour l’essentiel, inquiet des intentions de Lagardčre et Daimler, décidés ŕ se désengager d’EADS, Jean-Louis Chauzy réclame de l’Etat français Ťune attitude plus énergique et plus directiveť. Implicitement, il reconnaît ainsi que le feu continue de couver, que les relations franco-allemandes sont loin d’ętre idéales, ŕ défaut d’amalgame des équipes Ťet l’ambition allemande de transformer en systčme paritaire des compétences parfois détenues ŕ 70% par la Franceť. Par exemple chez Eurocopter. D’oů le souhait d’une recomposition du capital de la société et d’un rééquilibrage de la gouvernance d’EADS en s’assurant, notamment, que les avances remboursables développent l’emploi de maničre équitable de part et d’autre du Rhin.
Ce faisant, Jean-Louis Chauzy ne joue peut-ętre pas avec le feu mais pose un problčme d’importance considérable, y compris en matičre de risques de dommages collatéraux. Il n’est plus question, en effet, que la gouvernance et l’actionnariat d’un groupe aussi important qu’EADS, qui plus est mondial dans ses ambitions, puisse faire l’objet de discussions plus ou moins discrčtes. A tout instant, inévitablement, tout est mis sur la place publique, avec un risque constant d’effet boomerang.
Ainsi, le seul fait de s’adresser au Président de la République, quelle que soit la légitimité des problčmes posés, risque de renforcer davantage la conviction des Américains que le groupe EADS présente un inacceptable caractčre étatique. Une tare, comme on a pu le constater ŕ l’examen des commentaires relatifs au marché des ravitailleurs. Les adversaires américains du tandem EADS/Airbus ont maintes fois dénoncé les travers Ťsocialistesť (sic) d’une entreprise généreusement Ťsubventionnéeť (sic, ŕ nouveau) et, de ce fait, ne respectant pas les rčgles du jeu.
Le tout est de s’y prendre habilement. On comprend l’inquiétude de Jean-Paul Chauzy, partagée par d’autres, et il ne faudrait en aucun cas réduire au silence. C’est lŕ un paradoxe de plus…
Pierre Sparaco - AeroMorning