Mazzucchelli © Casterman - 2010
Un incendie ravage un immeuble : voilà le prétexte utilisé par l’auteur pour impulser le récit et nous emmener dans les dédales du passé, du présent, voire des perspectives d’avenir d’Astérios Polyp. Lorsque nous découvrons cet homme, il végète dans une profonde léthargie destructrice. Dans son appartement, les mégots s’empilent dans le cendrier, les lettres de contentieux s’amassent sur une table… un lieu qui semble refléter à merveille l’état d’esprit de son locataire. L’instinct de survie ou la raison, qui sait !!, mais Astérios prend soudain conscience des flammes et du danger. Il empoche trois souvenirs et dévalle quatre à quatre les marches de la cage d’escalier. Une fois dehors, il reprend son flegme où il l’avait laissé et poursuit sa fuite en avant. Bandit ? Alcoolique ? On se fait rapidement une idée sur ce que doit être ce type qui part à la dérive.
A la Gare, il paye un billet pour une destination qu’il ne connait pas et frappe à la première porte qui se présente pour trouver du travail. Il se fait embaucher en tant que mécanicien et loue une chambre dans la maison de son employeur. Asterios n’attendait rien de cet homme si ce n’est un salaire, mais cette rencontre lui permet d’entamer une remise en question importante. Avec beaucoup de talent et d’intelligence, David Mazzucchelli nous démontre que les apparences sont souvent trompeuses et nous aide à comprendre pourquoi cet homme ne souhaite pas se battre.
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Paru en 2009 aux États-Unis, cet album a débarqué discrètement en France plus d’un an plus tard. Une arrivée peu remarquée par le public jusqu’au Festival d’Angoulême qui lui a attribué le Prix Spécial du Jury en janvier dernier… une reconnaissance que je trouve amplement méritée.
J’ai craqué pour la richesse de cet album original en tous points. Le récit est à la fois pertinent, drôle, sarcastique et touchant. Il donne vie à un personnage intelligent et complexe, qui se pensait à l’abri derrière une épaisse carapace (suffisamment distant pour qu’on le laisse se lover dans sa solitude). L’auteur utilise plusieurs styles de narration et nous oblige à faire des va-et-vient dans l’histoire d’Astérios. Il y a un phénomène étrange dans cet album, un effet récurrent d’attraction /répulsion pour le personnage. Tour à tour, on le comprend puis on le rejette… cela nous oblige également à être partie prenante durant la lecture.Mazzucchelli crée autour d’Astérios un univers intemporel où se côtoient son passé, son présent, ses rêves et son esprit d’analyse. Cet ensemble sert magnifiquement une riche remise en question, ce qui oblige le scénario à faire le grand écart en permanence entre un sentiment et son contraire. On navigue entre deux registres : l’irrationnel d’un coté (amour, deuil, émotions, filiation…), le rationnel et la Science de l’autre (travail, mathématique, architecture, Arts, raison…). On baigne en pleine métaphysique ! Mais tout est ici tellement imbriqué qu’il est difficile de se sentir balloté pendant la lecture. L’univers d’Asterios Polyp est cohérent, réaliste et palpable. Mazzucchelli a créé un album d’une rare qualité, un monde d’une grande richesse dans lequel il nous guide à l’aide de multiples atmosphères visuelles. De chaque personnage émane une atmosphère : chacun a sa bichromie, son style de dessin, son phrasé, sa police de caractère mais également sa forme de phylactères. Cela nous aide à les entendre parler, on repère leurs accents ou les trémolos dans la voix… bref, cela apporte du relief à ces personnalités que l’on va suivre 300 planches durant. Quelle richesse au niveau du graphisme d’autant que Mazzucchelli n’hésite pas à faire coexister les différents univers, ce qui ne rate pas de nous surprendre… comme ici par exemple :
le passé d’Astérios dans une bichromie blanc-bleu : des visuels dépourvus de détails, un trait chirurgical où évolue le personnage principal est représenté comme s’il se dessinait lui-même (je précise qu’Astérios est architecte. En parallèle, l’univers de son ex-compagne est en bichromie blanc – rose, le dessin est rond, il y a du relief, on ressent ses émotions.
Lecture de mars pour kbd
Une lecture que je partage avec Mango et les participants aux
Je me suis sentie bien dans cet album, disposant d’une bande-son inattendue et piochant tour à tour dans mes propres références (Pierre Dac, Woody Allen ou Pierre Desproges) pour marquer une note d’ironie ou la saveur d’une émotion.La lecture est vivante, cet album est une belle réussite. Je vous le recommande chaudement !
Prix Spécial du Jury à Angoulême en 2011 et Grand Prix de la Critique de l’ACBD en 2010.
Liens : la chronique de du9, buzz littéraire.
Extraits :
« Si les hommes baisent en silence, c’est qu’enfants déjà ils se masturbaient en cachette. Ils ont donc pris l’habitude d’être discrets » (Astérios Polyp).
« - Alors, le bilan de ce premier semestre ?
- Eh bien, j’ai deux types d’étudiants : ceux qui ne savent pas dessiner et ceux qui ne savent pas réfléchir. Et leur capital de confiance semble inversement proportionnel à leur talent » (Astérios Polyp).
« Vous comprenez, les hommes sont tellement étrangers à ce qui se passe autour d’eux qu’il leur faut inventer des mots. Ce n’est pas si sorcier de comprendre les autres. Vous savez, il suffit d’oublier ce qu’ils dosent et de regarder ce qu’ils font » (Astérios Polyp).
Asterios Polyp
One Shot
Éditeur : Casterman
Collection : Univers d’Auteurs
Dessinateur / Scénariste : David MAZZUCCHELLI
Dépôt légal : octobre 2010
Bulles bulles bulles…