Dans les sondages et pas seulement ceux d’Harris Interactive, Marine Le Pen passe la barre des 20% d’intention de votes. Sa côte de popularité bat des records pour une personnalité de l’extrême droite, à 27%. Tous les clignotants sont au vert pour la fille de Jean-Marie Le Pen dont la stratégie de dédiabolisation du FN semble payer. «Pour les Français, il est évident que le parti est en voie de normalisation», explique Sylvain Crépion, sociologue spécialiste du FN*. «Elle a fait muter le FN», abonde dans son sens Gaël Brustier, docteur en sciences politique et co-auteur de Voyage au bout de la droite. «Elle l’a adapté à la société française», ajoute-t-il. 20minutes.fr fait le point sur le FN new look.
Du social, du social, du social
Les thèmes de prédilection de Marine Le Pen, c’est la laïcité, certes, en fer de lance de son combat contre l’Islam mais aussi le social. «Elle a fait évoluer les thématiques en gauchisant le discours du FN», note Gaël Brustier. Et même si le virage avait déjà été pris par son père, c’est bien Marine qui est la garante de l’image sociale du FN. La mondialisation, la désindustrialisation, la précarité, les services publics, sont devenus ses thèmes. Elle parle au prolétariat, à «la France qui gagne entre 700 et 1.200 euros» et «évoque les questions économiques en articulant la mondialisation avec la peur diffuse du déclassement», ajoute-t-il, parlant «d’assaut sur l’électorat ouvrier». D’autant que «la réalité de la France, c’est les classes populaires, ignorées par tous les partis, notamment la gauche».
Evolution sur le sociétal
La frange la plus traditionaliste du FN en a fait le reproche à Marine Le Pen avant son élection, elle est plus ouverte que son père sur les questions sociétales comme le droit à l’avortement ou les droits des homosexuels. «C’est une femme de son temps, divorcée, avec trois enfants, qui a les mêmes problèmes que les autres», note Gaël Brustier. «Elle a bénéficié de la scission des mégrétistes, qui a fait partir les plus traditionalistes», ajoute-t-il. Reste qu’elle est inflexible sur la peine de mort, même si elle le dit moins fort.
Les provocs, c’est fini, place à la respectabilité
Comme nombre de militants FN, elle est une des «traumatisées du 21 avril 2002», explique Sylvain Crépion. C’est-à-dire qu’à ce moment, nombre de militants FN ont compris dans la douleur qu’ils n’accéderaient jamais au pouvoir en raison du «cordon sanitaire» mis en place contre Jean-Marie Le Pen. Elle essaye donc de «donner une respectabilité au FN, de le rendre acceptable en prenant ses distances avec le FN à papa, avec les provocations sur la Shoah, l’inégalité des races, la guerre d’Algérie», analyse le sociologue.
Le FN bénéficie d’une droitisation des débats
«Il y a une droitisation à l’œuvre» dans les débats, juge Gaël Brustier, et «la droite en porte la responsabilité avec la casse de l’appareil gaulliste au niveau idéologique et organisationnel», qui servait traditionnellement à faire barrage à l’extrême droite. Islam et insécurité, elle n’a presque plus besoin d’en parler – le FN est déjà identifié sur ces thèmes - tant l’UMP en parle à sa place. «Si elle reprend les thèmes républicains et laïcs, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a une vision ethnique de l’identité et qu’elle est dans une logique xénophobe», insiste Sylvain Crépion.
Une base électorale plus large
Avec tous ces ajustements, Marine Le Pen élargit sa base électorale potentielle. «Elle surperforme au sein des catégories traditionnelles du FN, les artisans, les employés, les ouvriers», note Frédéric Dabi, de l’Ifop. Mais «à partir du moment où elle passe la barre des 20%, elle devient ‘attrape-tout’. Elle est notamment très forte chez les 50-65 ans qui votent plutôt UMP, ajoute-t-il. C’est là où il y a une aspiration des voix UMP». Marine Le Pen s’est transformée en défenseur de la République, «contrairement à son père qui parlait de Ripouxblique, note Gaël Brustier, pour passer de 15% à 30% dans les sondages». Et elle ne peut le faire qu’en s’adressant à la «sociologie majoritaire du pays», ajoute le spécialiste selon lequel Marine Le Pen «travaille beaucoup sur la sociologie et la démographie du pays».
Maud Pierron, 20minutes.fr 8 mars 2011