Il avait maintenant vingt-huit ans et, pour autant qu'elle pouvait dire, n'était occupé que de vétilles. Il donnait l'impression de quelqu'un qui attend un grand événement et ne peut commencer un travail, celui-ci devant fatalement être interrompu. Comme il ne faisait jamais rien de ses doigts, elle avait pensé que, peut-être, il voulait être artiste, ou philosophe, ou quelque chose de ce genre. Mais pas du tout. Il ne voulait rien écrire qui put lui faire un nom. Il s'amusait à écrire des lettres à des gens qu'il ne connaissait pas, à des journaux. Sous des noms différents et usant d'identités diverses, il écrivait à des inconnus. C'était là un vice étrange et dérisoire, une honteuse manie. Son père et son grand-père à elle avaient été des hommes à principes. Pourtant ils auraient tenu en plus profond mépris les petits vices que les grands. Ils savaient ce qu'ils étaient et ce qu'ils se devaient à eux-mêmes. On n'aurait pu dire ce que savait Walter, ni quelles étaient ses vues sur quoi que ce soit. Il lisait des livres qui n'avaient rien à voir avec ce qui, à présent, comptait. Souvent, elle entrait dans une pièce qu'il venait de quitter et tombait sur quelque passage incompréhensible, souligné par lui dans un de ces livres abandonnés en quelque coin, et elle passait des jours à le tourner dans sa tête en tous sens. Elle en avait trouvé un, en particulier, dans un livre qu'il avait laissé traîner dans la salle de bains du premier. Ce passage la hantait comme un oracle. « L'amour doit être plein de colère », disait-il, et elle avait pensé: «C'est bien mon cas!» Elle ne cessait d'être en rage.