Par Isabelle Udron /
Saison de lumière / Francesca Kay (Eds. Plon, 248p., 20€)
Dans un premier roman anglais éblouissant et de grande maîtrise, le portrait d'une femme peintre nous insuffle la connaissance de l'art.
Jennet Mallow, née en 1924, est une jeune anglaise issue d'une famille rurale. Jennet, qui s'intéresse très tôt au dessin et a des dispositions artistiques, obtient une bourse pour étudier dans une école d'art de jeunes filles de Londres. Elle rencontre dans le milieu bohême londonien, David Heaton, peintre prometteur, fantasque et irresponsable. Ils entament une liaison charnelle et passionnée, et c'est la découverte de la sensualité et d'une nouvelle vie pour Jennet.
Suite à sa première grossesse, ils se marient, et Jennet commence à peindre, elle aussi. Elle assume ainsi à la fois un destin d'épouse, qui plus est de femme d'artiste, et un début de vie artistique personnelle, tout en ayant la charge domestique sur ses seules épaules. En effet, David ne pense qu'à faire la fête, et préfère l'ivresse de l'alcool et la trouble compagnie de son amie Corinne à la vie familiale.
Pour fuir ces écarts, la misère londonienne, la difficulté à vivre dans un Londres sinistre et brumeux, et trouver de la lumière pour leur peinture, le couple s'installe en Espagne dans un village pauvre et isolé du bord de mer d 'Andalousie.
« Une nouvelle palette, autrement dit, et non celle, nordique, de verts, de gris, et de terre. Il l'aurait tout aussi bien trouvée en Italie du Sud ou en Grèce. Mais David était touché au plus profond par les murmures que lui adressait l'Espagne, et séduit par son histoire rude et ses cieux, les cramoisis du sang versé. »
Ils mènent une vie très simple, et c'est là que Jennet pourra créer ses premiers grands tableaux. Mais, alors que Jennet s'élève et dépasse en génie son mari, leur naissent des jumelles dont l'une sera à jamais handicapée et l'objet de la culpabilité de sa mère. David, lui, malgré son propre succès et ses ventes, ne sera jamais plus qu'un bon peintre,
Sans s'embarrasser de lyrisme et de grands mots, par un style neutre et faussement sobre, Francesca Kay laisse toute la place à la découverte de l'art et de l'artiste par le lecteur. Ce roman très riche à la poésie discrète, est tout à la fois un livre sur le rapport de l'artiste à son art, la difficulté de la création, et les relations étroites que celle-ci entretient avec la réalité. L'auteure trace brillamment le portrait d'une femme obstinée qui, dédaignée et mal aimée de son mari, trouvera son chemin, presque spirituel, dans la réalisation personnelle de son art.
Le doute permanent, la veulerie et l'égocentrisme, incarnés par David achèvent de rendre complète cette représentation de la vie de l'artiste.
Avec un talent époustouflant, Francesca Kay nous donne à maintes reprises à contempler l'oeuvre en état de création : non seulement on parvient à visualiser le tableau proprement dit, mais on en perçoit les couleurs, les lignes, la texture, les contrastes, et on voit sans doute possible qu'il est magnifique.
C'est ainsi que Francesca Kay réussit un grand roman véritablement sensuel, en ceci qu'à chaque page il aiguillonne nos perceptions. Le lecteur en ressent une intelligence et une émotion singulière.
Et c'est tout simplement magistral.
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