L’histoire n’a rien d’extraordinaire. Elle est pratiquement impossible
à résumer tant elle est constituée de détails infimes, en apparence
banals. Lors d’un séjour à la campagne, une jeune femme se retrouve
plongée dans ses souvenirs d’enfance. Cette confrontation avec son
passé finit par remettre en question le sens de sa vie actuelle.
Certains trouveront ce film lent, pour ne pas dire chiant. Pour moi, Souvenirs goutte à goutte
fait partie de ces films rares qui, en opérant une étrange alchimie
dans votre esprit, finissent par vous hanter, longtemps après que vous
les ayez regardés. Le genre de film que l'on a envie de revoir ou de
partager avec d’autres. A quoi tient cette magie ? Sans doute au soin
que le réalisateur apporte à relater certaines scènes de la vie
quotidienne, à magnifier, comme un peintre, la beauté d’un paysage ou
d’un geste quotidien.
Jamais auparavant, je n’avais vu un auteur de dessin animé capable
d’évoquer avec autant de justesse des émotions universelles telles que
l’ennui d’un enfant un jour de vacances, les vexations d’une jeune
fille confrontée aux moqueries des garçons lors de ses premières
règles, la contemplation silencieuse de la nature.
Souvenirs goutte à goutte m’a fait penser à Ozu, cinéaste que je
vénère. D’ailleurs, Takahata le cite souvent comme l’une de ses
références. Tous les deux sont des adeptes du genre shomin-geki,
c'est-à-dire les histoires quotidiennes et familiales qui mettent en
scène les petites gens, la classe moyenne japonaise.
Le titre Souvenirs goutte à goutte rappelle d'ailleurs ceux du maître japonais ou de son confrère
Mizoguchi : Où sont les rêves de jeunesse ?, Eté précoce, Printemps tardif, Le Goût du saké, La chanson du pays natal, Conte des chrysanthèmes tardifs, Les contes de la lune vague
après la pluie… Le
plus beau titre restant pour moi celui d’Ozu Je suis né, mais …
Vous imaginez un jeu qui s’appellerait Je suis né, mais... ? Encore Les contes des chrysanthèmes tardifs pourrait passer pour un FPS branché mais Les contes de la lune vague après la pluie aurait-il une chance de voir le jour ? Il suffit d’énumérer les titres de quelques jeux sortis récemment pour s’en convaincre : Assassin’s screed, God of war, Ace combat, Virtua Fighter, Manhunt, Bioshock, Command and conquer, Supreme Commander, Mass effect…
Quand je vous disais dans mon dernier billet que tout ça manque
cruellement d’émotions ! Ouais ? Non ? Ok, j’exagère sans doute en
écrivant cette liste un peu caricaturale. Après tout, il y a bien un
Heavy Rain en cours de production ! Bon allez, j’arrête de vous prendre
la tête avec mes théories… D’ailleurs je vous laisse, faut que je
retourne tuer des hordes de pirates dans Uncharted (excellent, par
ailleurs) mais, lui aussi, loin, très loin de Takahata.
Tiens, ça ferait un beau titre ça : Loin, très loin de Takahata.
- Dis papa, tu crois vraiment qu’on peut faire un jeu fun et parler en même temps des enfants qui s'ennuient et des filles vexées ?
- Heu… écoute fiston ! Mêle toi de ce qui te regarde…. Après tout, pourquoi un jeu vidéo ne pourrait-il pas créer des émotions subtiles, aborder des sujets comme la maladie, le deuil, le temps qui
passe, la nostalgie de l'enfance, les blessures de l'adolescence, les liens père-fils, la pauvreté, les femmes battues, les vieux abandonnés, le sens de la vie et pendant qu’on y est... je sais pas moi... la solitude des pierres de la rivière un soir d’hiver ?
- ...(long silence gêné)...
- Heu ... Finalement, un bon polar ça t'irait ?
- Si t’étais très fort papa, mais vraiment très fort, tu arriverais à
concilier les deux, le fun et l’émotion, comme dans les meilleures
séries américaines.
- La disparition mystérieuse d’une pierre de la rivière et le
meurtre en série des poissons de l’étang ? Tiens même que ça s’appellerait Loin de
Takahata.
- Pfff ! Ben dis donc, il promet vachement ton prochain jeu p’pa ! Surtout écris pas ça dans ton blog !