Le programme Aadhaar
Voilà un sujet de taille qui passe un peu inaperçu et qui est susceptible de faire évoluer le pays.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de la mise en place d’un numéro d’identification unique pour chaque citoyen, et donc d’un numéro d’identité national qui est censé favoriser l’accès des plus pauvres à l’aide sociale. L’idée consiste, lors du recensement en cours et dont nous vous avons déjà parlé, de mettre en place un registre national de la population (NPR) avec un numéro d’identité unique à 12 chiffres, auquel on se réfère en hindi par le mot aadhaar qui signifie la fondation, la base.
L’idée est aussi de rendre ce numéro aadhaar obligatoire pour un certain nombre d’actes administratifs comme la déclaration d’impôt, les relevés d’identité bancaire, les cartes SIM etc.
Ce programme est dirigé par un indien très connu, Nandan Nilekani, fondateur d’Infosys en 1981, la deuxième société de services en ingénierie informatique du pays, et classé en 2009 parmi les 100 personnalités les plus influentes du pays.
Ce programme ne fait pas l’unanimité et certains parlent de Big Brother (Big Browser ?) comme l’estime l’économiste indien Jean Drèze (Economiste indien d’origine belge, coauteur d’ouvrages avec le Prix Nobel Amartya Sen) qui y voit surtout une belle arme de contrôle.
Ces données seront gérées par l’autorité indienne chargée de l’identification unique, l’UIDAI (Unique Identification Authority of India) qui affirme que les données seront confidentielles mais qui pourra en autoriser l’accès aux services de renseignements.
Le véritable enjeu, en matière de politique sociale, est aussi la mise en place d’un programme de transfert conditionnel d’argent (conditional cash transfers, CCT) (déjà mis en place au Brésil, au Mexique ou aux Philippines). Un tel programme permettrait de transférer aux familles pauvres une petite allocation mensuelle sur un compte en banque. A terme, il pourrait remplacer l’actuel système public de distribution (mécanisme permettant aux ménages d’avoir accès à des denrées de base à des prix subventionnés). Selon le gouvernement, le succès de ces transferts d’argent repose sur le système d’identification biométrique, lié au nouveau numéro aadhaar.
L’UIDAI espère inscrire 100 millions d’Indiens d’ici à mars 2011 et 600 millions d’Indiens dans les quatre années qui viennent.
Alors que faut-il penser de ce programme ?
Quand on connait l’Inde et qu’on voit tous les problèmes administratifs et liés à l’absence d’une carte d’identité nationale, on comprend que ce programme est nécessaire. Ainsi notre chauffeur ne peut avoir de comptes bancaires parce qu’il est du Kerala et que pour avoir un compte bancaire à Bombay il faudrait qu’il obtienne des preuves de résidence que son propriétaire refuse de lui donner car il ne déclare pas les loyers ! Il y a environ 45% de la population indienne qui dispose d’un compte en banque ! Beaucoup de situations montrent aussi que les identités des personnes changent et constituent un vrai problème (les changements de noms sont fréquents et faciles en Inde). De plus, on sait très bien que dans les zones rurales, l’identification des personnes est encore plus compliquée.
Pour nous, la mise en œuvre des programmes sociaux, des programmes de scolarisation (beaucoup d’enfants échappent à l’école), des programmes de santé (vaccination, soins) nécessite que l’on sorte de la situation actuelle qui est compliquée et peu satisfaisante.
Oui bien sûr, connaissant l’Inde, nous ne nous faisons pas d’illusions sur la confidentialité de ces informations et les risques de dérapage existent. Mais malgré cela, compte tenu de la situation actuelle, nous voyons cette réforme comme un grand pas en avant.
Et lorsqu’on y réfléchit, chapeau à l’Inde pour entreprendre cette identification de plus d’un milliard de personnes !