Près de quarante ans après sa parution française, Grendel (éditions Denoël) bénéficie d’une réédition qui nous permet de redécouvrir ce roman tombé dans l’oubli. Spécialiste de la littérature anglo-saxonne, John Gardner s’attaque à un monument de celle-ci: Boewulf, long poème épique en vieil anglais qui relate les exploits légendaires du héro éponyme, un valeureux guerrier qui personnifie le bien. À l’inverse, Grendel est un monstre repoussant, descendant de Caïn, une incarnation du mal, qui s’amuse à décimer à coup de crocs l’armée du roi Hrothgar et à semer la terreur dans son royaume.
Considéré comme une parodie de Beowulf lors de sa publication aux Etats-Unis, Grendel rend pourtant bel et bien hommage, avec sa dimension poétique indéniable, à l’œuvre médiévale qui a posé les bases des lettres anglaises. Sans jamais se départir d’un humour féroce et rustre, (« J’ai mangé plusieurs fois du prêtre. Ça vous reste sur l’estomac comme des œufs de cane. »), l’auteur relate à la première personne les péripéties de la sombre créature, jusqu’à la confrontation finale avec Beowulf. Et si c’est le bien et la sagesse qui triomphent à la fin, John Gardner remet en question la trop grande importance donnée à la logique et à l’ordre à travers la figure de Grendel : « Si la raison nous sauve du chaos, qui est-ce qui nous sauvera de la raison ? »