En 1981, il y avait 840 000 SMICards. En 1988, il s'en comptait 1 500 000, soit 8% des salariés. À présent il touche 2 300 000 personnes, soit un cinquième des salariés. Il faut bien préciser qu’analyser l'exemple de la France est pertinent parce que le SMIC y est très proche du salaire médian (60%). L'analyse ci-après ne concerne pas des pays comme le Canada, la République Tchèque, les USA ou le Japon, où le salaire minimum légal est très inférieur au salaire médian, ou encore de pays comme l’Allemagne ou la Suisse qui n’ont pas de salaire minimum national et interprofessionnel.
Par quel mécanisme le SMIC crée-t-il du chômage ? Le SMIC est un prix imposé et son évolution répond seulement du bon plaisir momentané des pouvoirs en place. Le SMIC empêche la passation de libres contrats par les parties. Mettant le prix d’un travail au-dessus de la valeur de ce travail pour l’entreprise, il décourage de recruter et pousse, le cas échéant, au licenciement. L’employeur éventuel cherche d’autres solutions, soit investissement, soit renonciation au projet, soit délocalisation. Si le grand commerce ne peut être délocalisé, il investit énormément pour réduire le nombre de caissières. L'économie est tirée vers le bas en lui mettant un boulet aux pieds.
Faut-il souligner un autre effet négatif à savoir un écrasement de la hiérarchie des salaires ? De proche en proche l'on arrive aux « petits » cadres qui malgré leurs mérites et leurs efforts pour améliorer leurs prestations n'en sont pas récompensés suffisamment. Cet écrasement n'a-t-il pas un autre effet négatif ? La création de richesse par les efforts accrus de chacun se trouve freinée d'autant. Et, encore, un autre effet ne se dégage-t-il pas ? Au sommet de la hiérarchie, les personnes les mieux payées ont tendance, si elles en ont l'occasion, à émigrer pour échapper pour échapper à la progressivité rapide de l’impôt sur le revenu français : c'est l'émigration non des très riches mais des jeunes talents espérant devenir riches.
Enfin, comme toujours en matière de réflexion sur la richesse, l'on rencontre le problème des entreprises. Celles-ci qu'elles soient petites ou grandes sont les seules créatrices de richesse. Leur création et leur développement ne sont-elles pas gelées par le SMIC ? C'est une évidence car beaucoup d'entre elles, notamment les PME dont la masse salariale pèse beaucoup sur la rentabilité, ont besoin de travailleurs de base. Ne faut-il pas aussi considérer que le SMIC à la française est un facteur d'inflation, les augmentations du salaire minimum étant répercutées sur les prix à la consommation (ce qui conduira à revendiquer de nouvelles revalorisations salariales qui affecteront à leur tour les prix, et ainsi de suite)?
Enfin ne faut-il pas ajouter que la diversité des situations est telle que l'uniformisation du SMIC sur un territoire national est irréaliste : une petite entreprise ne fait pas face au même marché en Province et à Paris, et ne peut donc rentabiliser des embauches au même niveau de salaire minimum qu’à Paris par exemple. L'idée d'un salaire minimum national, homogène, plaqué sur un territoire national économiquement hétérogène, avec des niveaux de développement divers, apparait donc comme un contresens.
Le « social » serait-il donc anti-social en France ? Car la première explication qui vient à l'esprit pour justifier le SMIC, c'est la solidarité : il y a des gens que l'on ne peut laisser au bord de la route. Le malheur est que cette prétendue solidarité est fausse puisque, comme indiqué plus haut, beaucoup sont poussés justement en dehors de la route et en nombre croissant. Toucher au SMIC français serait, toutefois, toucher à un tabou et la coalition des intérêts en France est assez forte pour empêcher tout abandon du tabou. Si les pays africains qui se libèrent des dictatures ont des réformes à passer, ils devraient éviter de s'inspirer du modèle français en matière de salaire minimum.
Michel de Poncins est économiste.