Il y a ceux qui voient dans ce que Max Weber appelait le “désenchantement du monde,” une sorte de substrat inévitable de leur vie quotidienne - pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, allant de la nostalgie pour un âge d’or qui n’a peut-être jamais existé à la désillusion ou l’ennui au travail. Et il y a ceux qui croient au réenchantement du monde, qui en sont les artisans, qui veulent faire une différence : ce sont les entrepreneurs. Ils veulent enchanter, faire partager leur vision d’un monde meilleur. Ils sont capables de déjouer le cynisme, le scepticisme, l’immobilisme blasé ou la résignation. C’est le sujet de L’art de l’enchantement de Guy Kawasaki.
Le mot “enchantement” évoque d’emblée les rêves et les mythes, la venue miraculeuse de fées bienveillantes ou de Merlins omnipuissants. C’est le bonheur insouciant de l’enfance où tout semble possible. C’est presque par inadvertance que nous parlons des enchantements de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de notre première rencontre avec un être aimé, du sourire d’un bébé ou de ses premiers pas, ou de la découverte d’une chose que nous croyions chimérique. C’est presque par inadvertance, que nous réalisons que le monde qui nous entoure, pour nous donner des motifs de nous lamenter, nous offre aussi des quantités de raisons de nous laisser aller à l’émerveillement ainsi que d’émerveiller les autres: un exemple, vous avez de SKYPE un usage pragmatique, parce que c’est votre outil de travail, mais engagez une session avec votre mère ou votre grand-mère. Vous n’imaginez pas à quel point vous allez l’enchanter !
Laissez-vous enchanter pour enchanter….
Adulte, on est souvent réticent à se laisser aller à l’enchantement, essentiellement de peur d’apparaître excessivement naïf ou crédule. Alors on vit sur ses gardes et on se croit plus intelligent parce qu’on se réfugie dans la méfiance et la condescendance. Mais il est aussi un fait que plus on se garde de l’enchantement, moins on sent les vibrations de l’innovation à l’extérieur comme à l’intérieur de soi, et plus on s’enferme dans le discours du statu quo. C’est là que les blasés s’emprisonnent dans le cercle vicieux de l’ennui : plus on réduit sa perception du frémissement du monde, moins on est capable de s’imaginer les moyens de le transformer et d’enchanter les autres par ses idées. Ainsi, les gens qui ne savent pas se laisser enchanter réduisent-ils leurs chances de jamais enchanter les autres. Sourds à l’émotion qu’il y a à être enchantés, ils sont incapables de la créer chez les autres. L’ennui génère l’ennui.
“Seule l’enfance ne vieillit pas”, disait Avrom Sutzkever (1913 –2010), un poète yiddish récemment disparu, donc gardez en vous la fraîcheur de vous laisser séduire par les bonnes histoires pour devenir enchanteur à votre tour. Qu’on admette ou non qu’on est ébloui, fasciné, envoûté, ou subjugué, on trouve à se laisser enchanter comme un regain d’énergie et d’enthousiasme. Cela nous permet d’aller de l’avant, de nous reconnecter avec ceux qui nous entourent, d’avoir des chances de les enmener avec nous dans notre jubilation. L’enchantement est contagieux. C’est le point de départ indispensable, même si ce n’est qu’un point de départ : car chacun sait que les prédispositions à la peinture n’ont jamais fait de quiconque un Van Gogh. Il en va de même pour qui veut devenir un grand enchanteur. Comme pour tous les arts, la règle de l’excellence est simple : 10% de talent, 90% de travail. Et le but de ce livre est de vous aider dans la compréhension et la mise en oeuvre de ces 90%.
Construisez votre MAGIE
Ce qui fait la force de l’enchanteur, c’est sa MAGIE, tout simplement, c’est-à-dire :
•sa maîtrise : Si vous avez vu Steve Jobs sur scène, vous conviendrez qu’il est époustouflant. Ce n’est pas parce qu’il est un acteur né, c’est parce qu’il s’est préparé au delà ce ce qu’on peut imaginer.
•son autorité : Un enchanteur sait de quoi il parle. Il est compétent. Il possède ce que l’art rhétorique des Grecs appelait l’ethos (ἦθος), le style qui lui permet de capter l’attention et de créer la confiance par la crédibilité, le savoir et des qualités morales.
•sa générosité : L’enchanteur sait se rendre sympathique, parce que son but est de donner, non de se faire valoir, de se faire admirer ou d’embobiner les gens à leur insu. Il transfère à son public un pouvoir
• son imagination : L’enchanteur voit et comprend l’environnement de ceux qui l’écoutent pour vaincre leur résistance, leur scepticisme et leur ouvrir des perspectives vers un monde meilleur.
et enfin,
•son engagement: L’enchantement est une relation humaine, directe ou par le média d’une technologie, et le rêve de tout enchanteur est d’en faire durer les effets ou l’écho chez ceux qu’il enchante, soit parce qu’ils se servent toujours du produit dont il leur a parlé vingt ans plus tôt, ou parce qu’ils en gardent un souvenir extraordinaire.
Raffinez votre art
Chaque chapitre de L’art de l’enchantement est un guide vous engageant à travailler sur vos points faibles en consolidant vos points forts. Comment souriez-vous ? Quelle est la qualité de votre poignée de main ? Ce sont des petits détails auxquels vous ne pensez souvent plus, tant vous êtes habitués à être, comme on dit “vous-même” – au point que vous n’êtes peut-être déjà plus que le simulacre de ce que vous étiez il y a cinq ou dix ans, et que tout à “vous-même”, vous avez oublié que tous les gens que vous rencontrez aujourd’hui vous voient avec leurs yeux du moment, non avec ceux des gens que vous avez cotoyés autrefois. Peut-être êtes-vous devenu arrogant sans vous en apercevoir et avez-vous transformé votre sourire en rictus automatique et votre poignée de main en un coup de patte à ceux que vous ne vous donnez même pas la peine de regarder… Eh oui, l’enchantement est autant un travail sur soi qu’une action sur les autres !
La réalité de l’entrepreunariat était une suite à L’art de se lancer. L’art de l’enchantement est à la fois une préquelle et une suite pour les deux. Franchement, si vous n’avez envie d’enchanter personne, allez-vous lancer une société ? Ou allez-vous vivre avec enthousiasme la réalité quotidienne de votre entreprise si vous ne mesurez pas que vous devez enchanter vos employés et vos clients, et tout aussi souvent, vous laisser enchanter par eux pour retrouver la ferveur ? Donc, ce livre est bien un livre d’apprentissage, non un livre de contes de fées. Il vous présente un éventail de techniques, qui ne sont pas nécessairement enchanteresses par elles-mêmes, puisque le propos n’est pas de vous raconter un roman à l’eau de rose, mais de vous faire comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans le processus d’enchantement. Par exemple, l’expérience menée par Kawasaki sur la réaction de ses invités devant des poubelles de tri sélectif n’a rien de charmant (même si c’est amusant), mais elle vous donne un message clef : anticipez les réactions des gens pour influencer leur comportement! Après tout, le musc est une odeur abominable pour beaucoup, mais la base des plus belles fragrances de l’histoire. Tout est dans l’ensemble, la MAGIE du parfumeur qui assemble.
Apprenez de la MAGIE des autres…
Et bien sûr, commencez par Guy Kawasaki. Il sait de quoi il parle. Ce n’est pas un professeur d’université qui disserte sur l’art d’avoir de l’influence ou un psychologue disséquant le comportement d’êtres humains placés dans un bocal, même s’il tire parti de toutes ces expériences. C’est un praticien de l’art de l’enchantement. La première fois que je l’ai rencontré, en 1986, cela m’avait frappée. Je débarquais dans la Silicon Valley. Je ne connaissais pas son nom. J’ai appris qu’il était l’évangéliste du Macintosh aux Etats-Unis, mais pour tout dire, je ne comprenais pas très bien ce que cela voulait dire à l’époque, d’autant que j’étais un peu déroutée par les connotations religieuses de ce terme “évangéliste”, qu’on n’employait guère en ce sens en France à l’époque. Et puis un jour, j’ai compris, en le voyant parler à un groupe de développeurs, en remarquant cette façon d’associer un vrai désir de convaincre avec une nonchalance attentive. Il avait un art consommé de raconter son histoire, et je dirais une telle maîtrise de son histoire que jamais il n’y avait de raideur dans son propos, son ton ni son style. Il ne cherchait pas à éblouir pour éblouir. Le projecteur, bien que sur lui, semblait en réalité dirigé vers tous ceux qui l’écoutaient. Les gens venaient à lui – parce qu’ils avaient envie de suivre un enchanteur. Ce jour-là, j’ai compris comment il avait séduit tant de programmeurs brillants et maintenu leur intérêt pour le Macintosh, malgré le traumatisme général qu’avait causé le départ de Steve Jobs en 1985.
Quand l’année suivante, je lui ai demandé s’il avait envie d’être le président de la société que je créais, il m’a répondu avec un sourire, un vrai sourire, vous savez, celui qui crée des pattes d’oie : “Really?” – Vraiment ? Et puis, en un rien de temps, il a dit oui. Mais vous savez ce qui m’a le plus enchantée ? C’est de découvrir, en lisant un article du New York Times quelques jours plus tard, qu’il était bien plus célèbre déjà que ce que je croyais. Les vrais enchanteurs n’ont pas besoin d’imposer leur pouvoir : ils l’ont et le conservent par l’élégance de leur humilité.
Si vous me croyez partiale parce que je connais Kawasaki depuis plus de vingt ans, allez l’écouter parler. Vous verrez des dizaines d’individus qui ne se connaissent pas s’installer dans la salle. Vous les verrez aussi repartir différents de ce qu’ils étaient en arrivant. Ils ont un sourire sur leur visage. Ils sont contents. Ils se mettent à parler aux gens autour d’eux. D’un seul coup, ils ont quelque chose à partager. Ils sont enchantés et sont prêts à enchanter à leur tour.
Menlo Park, février 2011
Offre spéciale de lancement pour l’édition française
Suivre l’actualité du livre sur Facebook : bientôt une GRANDE NOUVELLE !