Le journal du soir, très propre sur lui, va pouvoir blâmer les vilains français égarés par les idées de Marine le Pen. Sauf que le Monde devrait se réjouir d'un tel résultat, acquis en bonne partie grâce au soutien du Monde.
Il y avait déjà eu une tribune de Marine le Pen en décembre 2009, qui avait donné lieu à moultes réjouissances sur les sites du FN.
Puis un chat avec Marine le Pen et les lecteurs du Monde.
Rédigeant ce billet je découvre qu'en plus le Monde a invité Marine le Pen pour un nouveau chat, filmé cette fois, en janvier dernier.
Certes, Mélenchon et Besancenot ont aussi "chatté" avec les lecteurs du Monde. Le lecteur modéré pourra donc estimer que tous les extrêmes ont leur place au Monde. Sauf que jusqu'à peu, l'extrême-droite n'était pas considérée comme fréquentable par le Monde.
On pourra donc constater que Marine "n’a pas besoin de faire campagne pour le moment. D’autres, à des degrés divers, la lui font." Manque de bol, les journalistes qui s'interrogent ainsi sont chargés du suivi de l'extrême-droite...au Monde. Un peu faux-cul, ils s'étonnent de constater que Marine le Pen a été invitée sur Radio J. Et pourquoi Radio J n'inviterait-elle pas une femme qui a publié une tribune dans le Monde et a été invitée deux fois à taper la causette avec les lecteurs ?
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Le Monde tout seul ne fait pas monter Marine le Pen. Il y contribue, ce qui est déjà suffisamment à porter à son débit. Mais la vraie cause de la montée de le Pen réside dans l'Union européenne.
L'Union contraint gauche et droite à adopter des programmes similaires, faits de cocktails de privatisations, de compression des salaires et d'austérité durable. Seuls les dosages, le tempo et le discours d'accompagnement peuvent varier.
Comme la propagande officielle veut que l'Union européenne soit un projet vertueux, moral, les élites n'osent le contester. Mais comme chacun peut constater quotidiennement, cela ne marche pas, le FN, qui assume depuis longtemps, avec une sombre complaisance, la part maudite de nos sociétés, se retrouve seul à bénéficier du retour de bâton.
C'est cela même qui, à mon avis, fascine tous ceux qui, tout en s'affichant comme officiellement eurobienveillants, rêvent de s'abandonner à l'égoïsme crasse du Front National.
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Un autre exemple emblématique de ce balancement entre bienveillance aveugle obligée par l'Europe et fascination pour l'égoïsme brut du FN ?
Nous avons un jeune secrétaire d'Etat aux affaires européennes, Laurent Wauquiez. Chargé donc de faire le bien et d'affronter chaque jour les "égoïsmes nationaux". Le voilà qui, en plein débat sur l'Islam, veut assumer les "racines chrétiennes" de notre beau pays, après avoir défendu celles de l'Europe. Et qui, benoîtement, énonce juste après que DSK, ses racines à lui sont ailleurs. Voilà les thèmes les plus années 30 de la droite des ligues, catholique et nationaliste, qui ressurgissent dans la bouche d'un "irréprochable européen". Oui, l'Union européenne est un projet politique qui peut être parfaitement réactionnaire.
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De fait, Marine le Pen pourrait à très peu de frais devenir une européenne d'honneur. La seule chose que la clique européenne lui demandera est d'insister moins sur l'égoïsme français, et de le transposer à l'échelle européenne. Je suis persuadé que c'est ce qui peut se passer. Elle peut se faire élire présidente avec le soutien de la droite - et la complicité de la gauche qui délaisse le social au profit de l'illusion européenne - en infléchissant à peine son discours.
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La gauche qui se contenterait d'attendre que la montée de Marine le Pen expose Sarkozy à un 21 avril à l'envers se met le doigt dans l'oeil. Je tombe par exemple sur cet article que je n'avais pas lu, dans lequel un conseiller de Sarko voyait Marine le Pen dans un gouvernement de droite, dès septembre 2009.