Il reste et il restera (Paul Valéry à propos de Manet)
"Ce révolutionnaire – le mot n’est pas trop fort – avait les façons d’un gentleman accompli. Avec des pantalons volontiers voyants, de courts vestons, un chapeau à bords plats posé sur le derrière de la tête, toujours irréprochablement ganté de Suède, Manet n’avait rien d’un bohème et n’était bohème en rien. C’était une façon de dandy. Blond, avec une barbe rare et menue qui s’effilait en pointe double, il avait dans la vivacité extraordinaire des yeux – de petits yeux gris pâle et très constellés, – dans l’expression de la bouche moqueuse, – une bouche aux lèvres minces avec des dents irrégulières et inégales, – une forte dose de gaminerie parisienne. Très généreux et très bon, il était volontiers ironique dans le discours et souvent cruel. Il avait le mot à l’emporte-pièce, coupant et déchiquetant d’un coup. Mais quel bonheur dans l’expression et souvent quelle justesse dans l’idée !"
Armand Silvestre, « Souvenir littéraire. Le café Guerbois »,
La Revue générale : littéraire, politique, artistique, 1886.
Portrait de Berthe Morisot