La culture du secret entourant l’exploitation du jeu au Québec empêche les spécialistes de la dépendance au jeu d’exercer leur compétence. C’est vraisemblablement maintenant qu’il faut agir pour vérifier l’efficacité de la stratégie d’endiguement. En effet, les compétiteurs des portails territoriaux offrent une variété beaucoup plus stimulante de tournois satellites dont le point de départ peut être un tournoi à deux cents, quand ce n’est pas gratuit. Et, si on a un sens ordinairement réaliste des probabilités, on peut facilement s’y voir devenir millionnaire!
À défaut de la collaboration de Loto-Québec, on doit se contenter des données que la société d’état ne peut pas se permettre de cacher. Voici donc les données publiques permettant de constater l’absence d’une affluence accrue aux tournois de poker 101 après le 13 février 2011.
D’abord, le nombre d’inscriptions aux tournois satellites « 250k » entre le 2 décembre 2010 et le 13 février 2011; puis le nombre d’inscriptions aux tournois satellites « 100k » qui sont disponibles depuis le 20 février 2011 alors que PlayNow s’est joint au Canadian Poker Network (CPN).
Maintenant, voici le nombre d’inscriptions aux tournois de poker 101. Le plafonnement semble avoir débuté environ deux semaines avant la grande finale du « 250k ». Le besoin d’exploiter ses dernières chances de se qualifier pour la grande finale pourrait expliquer une certaine désertion du poker 101, mais cette tendance aurait dû s’inverser durant la semaine d’exclusivité du poker 101 comme activité gratuite. On ne perçoit rien de tout ça.
En retournant à la première figure, à la reprise des tournois satellites, c’est-à-dire le tournoi « 100k », on n’observe pas une continuation de la progression régulière observée avec le « 250k ». Il est vrai que les lots à gagner passent de 250 000 à 100 000 dollars. Mais, en comparaison, le poker 101 n’offre pas davantage qu’un total de 101 dollars à gagner. Les inscriptions y sont aussi nombreuses.
La moitié des sièges à la grande finale est réservée aux joueurs de PlayNow. Il demeure néanmoins que chaque tournoi quotidien continue de qualifier 30 gagnants québécois pour le satellite hebdomadaire, et que 105 gagnants de l’hebdomadaire (à comparer à 150) atteindront la grande finale. Ces changements n’expliquent probablement pas la cassure actuellement suggérée dans le trafic des tournois satellites. Un suivi immédiat s’impose.
Il se passe sans doute quelque chose présentement, et ce quelque chose pourrait avoir une incidence considérable sur le succès ou l’échec du projet d’endiguement de la dépense consacrée au poker en ligne. Qui fait le suivi de cet événement?
Une étude, prévue 3 ans après l’implantation, n’est pas un suivi … c’est une autopsie. Dans 3 ans, si le jeu en ligne suit la voie des appareils de loterie vidéo (ALV), les dérapages de la stratégie commerciale de Loto-Québec seront sans doute des événements terminés, presque irréversibles car une portion considérable des dommages, pouvant être prévenus, auront été concrétisés. Le parc des ALV s’est déployé entre 1994 et 1996. Les joueurs, qui demandaient une aide clinique dès 1996, mentionnaient un délai d’un an entre l’initiation aux ALV et la perte de contrôle sur le comportement de jeu. Dès janvier 1998, les ALV étaient un problème sociosanitaire criant lorsque j’ai joint les rangs du CQEPTJ. Pourtant, le Ministère de la Santé et des Services Sociaux n’a pas été en mesure d’improviser un programme de traitement expérimental régional avant mai 2001, et le programme provincial n’a pas été officialisé avant 2004. Si le programme a bien fonctionné avec les joueurs dont le problème était frais, son succès est plus que mitigé auprès des gens qui sont venus consulter tardivement.
Quinze ans plus tard, nous nous retrouvons dans la même situation, c’est-à-dire sans capacité de déceler le problème sociosanitaire dès qu’il commence à se développer. Pire, si la stratégie gouvernementale est d’orienter les joueurs éprouvant des problèmes de poker en ligne vers les services déjà existant, surtout développés pour les problèmes d’ALV, cela pourrait prendre des mois avant de réaliser que les difficultés cognitives à régler sont différentes, et qu’il faut reconceptualiser le traitement. L’enjeu n’est pas mineur. Les délais inutiles risquent de se calculer en années.
Illustration : Jules Balavoine