Dans son journal politique, François Mauriac nous confie le 15 mai 1937, qu’à l’âge de dix-huit ans, il n’aimait pas la Traviata de Verdi. Il jugeait la musique facile, digne de divertir le public le plus large mais que lui, était résolu à ne pas céder au doux chant des sirènes: “… au Grand théâtre de Bordeaux, écrit-il, les trépignements et les ovations que la Traviata déchaînaient au paradis, me faisaient sourire et hausser les épaules.” Mauriac avait tort évidemment, il était snob. L’écrivain le reconnait d’ailleurs sans ambages: “je juge aujourd’hui que j’étais un nigaud et que le poulailler ne se trompait pas en cédant à cette musique ravissante.”
Lorsqu’il écrit ces lignes, Mauriac a 32 ans. Il a donc changé radicalement d’avis sur le peuple et pense qu’au bout du compte, celui-ci a un avantage certain sur “les beaux esprits”: “les larmes et le rire ne sont le privilège d’aucune classe. L’unique différence est que le peuple y cède plus vite que les beaux esprits et qu’il ne se barricade pas comme eux d’opinions reçues du dehors”. En réalité, je me demande si l’intellectuel ne se trompe pas une seconde en fois, en s’ingéniant à idéaliser “le poulailler” après l’avoir, péché véniel de jeunesse, injustement condamné. En effet, quand on s’intéresse à la récéption de l’opéra dès sa création à Venise en 1853, on s’aperçoit que le public ne fut pas vraiment au rendez-vous ! Pire, ce fut un des plus gros échecs de l’histoire de l’opéra.En général, d’aucuns ont tendance à jeter la faute sur les acteurs, mais on ne doit pas non plus minimiser la formidable originalité de l’oeuvre heurtant un certain conservatisme des spectateurs; en un mot: Traviata en 1853, c’est une oeuvre d’avant-garde ! Pour preuve, il s’agit du premier drame lyrique en costumes modernes. Autrement dit, les acteurs sur scène portaient les mêmes vêtements que le public ! Autre changement notable très bien expliqué par Alain Duault, “Verdi met en œuvre une transformation profonde du style de chant: sanglot de douleur, cris de rage, délire de joie s’inscrivent dans le tissu musical; est demandé au ténor une vaillance particulière dans l’aigu.” Non seulement les chanteurs étaient tétanisés devant de telles innovations, mais le peuple n’était pas moins déstabilisé. Il faut donc attendre quatorze mois pour s’habituer au changement et que le peuple lui offre le succès qu’il mérite: La Traviata est enfin applaudie dans toute l’Italie, à Londres, à Vienne, Paris, et même New York. Cependant un détail important: tout se passait désormais à l’époque de Louis XIV…
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Dans l’extrait que je publie, nous sommes encore à l’Acte I. Alfredo (incarné ici par un jeune Pavarotti) avoue son amour à Violetta (la cantatrice australienne Joan Sutherland). C’est à mon sens, une des plus belles déclarations: depuis combien de temps l’aime-t-il ? Un an, répond-il: “un di felice, eterea” (un jour, j’ai compris que je t’aimais).