Aujourd’hui a démarré dans des conditions un peu étrange le procès d’un des hommes politique français parmi les plus capés de la Vè République. Il en a exercé quasiment toutes les fonctions depuis un demi-siècle, vivant pour la politique et par elle. Tour à tour jeune premier, euro-rebelle, cohabiteur, outsider et finalement vainqueur. Sa palette de talents politiques en a fait un puissant. Retraité depuis quelque temps, il l’est un peu moins. Et voici qu’arrive son procès. Voulu par certains, combattu par d’autres, provoqué par d’autres encore qui depuis se sont rétractés, ce procès est au cœur de l’actualité. Pour nous, il est surtout au cœur de la crise des institutions et plus particulièrement de la continuelle chute de confiance dans les institutions de la population en général et des jeunes en particulier.
Nul ne sait si ce procès ira – un jour ? – à son terme mais beaucoup attendent qu’un événement naturel mette fin à ce suspens. Or si la mort de J. Chirac devait arriver, l’absence de procès qui en découlerait serait une catastrophe. Non que le fait de voir un vieillard soit un de nos plaisirs sadiques mais celui de voir un récent président de la République répondre de ses actes devant la justice serait tout simplement normal, simple, logique. A force de discours les « autorités » nous rappelant l’importance de l’Etat de droit, ne serait-il pas temps de le voir à l’œuvre, pour tous ?
Rafraîchissons nos mémoires et souvenons-nous pour faire un parallèle que le 8 novembre 2005, c’est ce même Jacques Chirac qui signait un décret déclarant l’état d’urgence en France. Une situation inédite sur le territoire métropolitain depuis 1961 et la guerre d’Algérie. Pendant deux mois, la France menacée par les révoltes urbaines allait vivre dans un Etat d’exception entre novembre 2005 et janvier 2006. Ses ministres – dont le premier était D. de Villepin et celui de l’intérieur, N. Sarkozy -, une partie de sa représentation nationale et de ses élus locaux n’auraient pas de mots assez durs pour dénoncer des exactions inacceptables par des jeunes voyous. La police fera du zèle et la justice, parfois en urgence, condamnera lourdement les émeutiers. Rappelons au passage que ceux-ci n’avaient pas le profil de multirécidivistes auxquels on a bien voulu nous faire croire à l’époque mais celui de jeunes majoritairement aux casiers vierges. Ce qui en dit long sur la nature de ces événements.
Un peu plus de 5 ans après, c’est au tour du Président de se retrouver à la barre. Ces mêmes jeunes, leurs amis, leurs parents auxquels s’ajoutent les éducateurs, enseignants, animateurs qui travaillent dans les quartiers populaires et qui essayent de faire en sorte que le vivre ensemble soit conjugué au présent, s’attendent à ce que la justice passe, de la même manière. La question n’est pas celle de la condamnation mais bien celle de la justice et de la confiance dans les institutions. Le Président ayant tout fait pour ne pas être jugé pendant son mandat – faisant voter un nouveau statut du Président en 2003, il devait l’être ensuite, aujourd’hui donc.
Comment, dès lors ne pas se lamenter devant les discours insupportables de celles et ceux qui rappelant le pedigree de l’ex-président demandent à ce qu’on le laisse tranquille, que les faits sont anciens etc. En 2005 aussi, des voix s’étaient élevées pour demander à ce qu’on traite avec mesure les jeunes arrêtés pendant les émeutes, les réponses avaient alors été cinglantes. L’exemplarité de notre Etat de droit est à cette image. Jugeons J. Chirac comme un citoyen comme les autres et si il a fait des erreurs, qu’ils les payent devant la justice des hommes comme tout le monde. Nous ne serions pas les seuls. Les ex-présidents Taiwanais et Israeliens ont ainsi été récemment condamnés respectivement pour corruption et viol.
L’ensemble des éducateurs de notre cher pays passent leur temps à essayer de convaincre les plus jeunes que nous vivons dans un Etat de droit, que l’Etat est là pour nous protéger, que la justice est la même pour tous, et que voter est un des droits les plus importants. Malheureusement la régularité avec laquelle les plus jeunes trouvent des exemples contraires pour leur répondre est confondante. A nous en faire douter, nous mêmes, du système. Aussi et à un an de l’élection présidentielle, le signal lancé par l’abandon du procès d’un ex-président de la République serait un terrible désaveu pour toutes les actions d’éducation à la citoyenneté.