La publication du désormais fameux sondage Louis Harris du Parisien le 6 mars 2011 donnant Marine Le Pen pour la première fois devant les deux candidats des grands partis de gouvernement a fait son effet. Médiatique bien sûr, vu le volume des commentaires. Au Café du Commerce de la politologie aussi, vu le nombre d’observateurs de toutes sortes qui se sont cru obligés d’y aller de leur dénonciation des techniques de sondage. Dans les états-majors des deux partis en question enfin puisque tout le monde s’y est mis pour donner sa version du non moins fameux « mais comment en est-on arrivé là ? ».
A main droite, l’explication est simple. Si Marine Le Pen réalise un si bon score, c’est qu’on n’a pas su mener les « vrais débats », comme le répète à longueur de médias Jean-François Copé, sur l’islam, l’identité nationale, l’immigration et tous les autres termes devenus centraux dans le lexique de la droite française. Et qu’il faut donc aller encore plus loin et y aller encore plus fort. On appellera cette proposition la thèse de la surenchère.
Si elle n’est pas d’une grande originalité, elle révèle néanmoins un peu plus clairement encore la stratégie de Nicolas Sarkozy pour 2012. Il ne s’agit plus en effet pour lui d’attirer le plus possible d’électeurs potentiels du FN au premier tour comme en 2007 mais désormais de tout tenter pour se retrouver au second tour face à Marine Le Pen afin de rejouer le coup de 2002. La solution est simple : contribuer à faire monter le plus haut possible Marine Le Pen afin d’éliminer le candidat socialiste dès le premier tour.
C’est bien évidemment une stratégie risquée puisqu’elle repose sur deux conditions sine qua non. Un, il faut impérativement assécher le vivier d’un vote de droite dissident au premier tour en éradiquant tout risque de candidature gênante, celle d’un Villepin ou d’un centriste agressif par exemple. Deux, le candidat du PS doit être le plus faible possible au premier tour, c’est-à-dire si possible une personnalité qui divise son camp sans toutefois empiéter au centre et qu’il y ait donc le plus grand nombre possible de candidatures de gauche au premier tour.
A main gauche, assez bizarrement, on est d’accord puisqu’on clame une explication tout aussi simple : c’est de la faute à Nicolas Sarkozy ! A force de remuer en tout sens le terreau identitaire et d’agiter les peurs sécuritaires, il alimente le vote FN, c’est donc à cause de lui que Marine Le Pen progresse. Si l’on ajoute à tout cela ses fiascos politiques et moraux à répétition, la messe est dite. On ne peut décidément rien cacher aux responsables de gauche et du PS en particulier ! La solution est tout aussi simple : il ne faut parler que d’économie et de social. C’est, comme le répètent en cœur tous les responsables socialistes, « tout ce qui intéresse les Français ». Tout le reste n’est que littérature ou plutôt superstructure comme le leur aurait soufflé Marx.
Mais alors de deux choses l’une : pourquoi les électeurs déçus du sarkozysme et touchés de plein fouet par les difficultés économiques, notamment ceux issus des classes populaires et moyennes qui ont voté pour le président de la République en 2007, ne se ruent-ils pas sur le vote de gauche et notamment PS ? Pourquoi le PS et la gauche ne l’emportent-ils qu’à des élections (locales avant tout) où les taux d’abstention battent record sur record depuis 10 ans ? Pourquoi, alors que son programme est jugé par tous dangereux, indigent et irréaliste, Marine le Pen et les « idées » du FN progressent-elles aussi régulièrement dans l’opinion et atteignent désormais des taux d’adhésion jamais vus ? Est-ce uniquement à cause des échecs, des faillites et des mensonges de Nicolas Sarkozy ? Ou bien est-ce aussi en raison d’une incapacité de la gauche, et des socialistes au premier chef, à répondre à ces déceptions, à ces attentes, aux demandes des Français ? Toutes choses qui ne sont visiblement pas réductibles à l’économie et au social.
On formulera ici une hypothèse : les questions économiques et sociales aussi cruciales soient-elles ne sont en aucun cas détachables des questions d’identité au sens large. Parce qu’on ne peut fermer les yeux sur le rapport à la Nation alors que la construction européenne telle qu’elle a été menée est un échec. Parce que le lien social n’est pas seulement une question de politiques publiques plus ou moins bien conçues ou ciblées mais qu’il repose aussi sur une compréhension partagée, profonde et sophistiquée des conditions du vivre-ensemble. Parce que l’idéal républicain n’est ni une manipulation créée pour dominer telle ou telle minorité ni une vague référence historique à citer pour s’en débarrasser en début de discours, mais bel et bien une exigence concrète, ici et maintenant, face à l’individualisme centrifuge et aux tentations identitaires de toutes sortes. Parce qu’être Français a un sens qui va bien au-delà de la rhétorique d’estrade ou d’un simple empilement de « droits à ». Etc.
Le chemin sera étroit pour la gauche d’ici à 2012 si son candidat le mieux placé, celui du PS à n’en pas douter, veut non seulement se qualifier pour le second tour mais surtout avoir une chance de l’emporter. Il lui faudra impérativement sortir d’un réductionnisme économique stérile qui limite le projet pour le pays à un programme d’ajustement technique de telle ou telle politique ou même à une réforme fiscale aussi ample soit-elle. Et ce sans pour autant tomber dans le délire identitaire qui a saisi une droite sans boussole depuis que son chef et candidat naturel l’a laissé tomber. La gauche devra se défaire d’habitudes de pensée dans lesquelles elle est confortablement installée depuis longtemps pour se risquer à des propositions audacieuses, notamment si elle veut pouvoir reparler à nombre de Français auxquels elle n’a pas adressé la parole depuis trop d’années.
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