Line Gaudreault
vlb éditeur
336 pages
Résumé:
1956. À Montréal, dans une cellule de la prison de Bordeaux, Raymond, un jeune condamné à mort, attend son exécution. Dans la petite ville d'Alma, Émilien Comeau se promène à la recherche d'une maison à vendre. Il souhaite y établir son entreprise d'installation d'antennes de télévision, la nouvelle distraction favorite des Québécois. Les visites s'enchaînent, rythmées par les rencontres d'Émilien avec les gens du coin qu'il trouve bien sympathiques. Lorsqu'il a le coup de foudre pour le 13, Côte du Royal, chacun le met en garde contre l'acquisition de cette maison où s'est déroulé un crime sordide. Peu à peu les langues se délient, Émilien fait la connaissance des membres de la famille de Raymond, et reconstitue le parcours qui a conduit le jeune homme à assassiner sa tante avec qui il avait une liaison. Mais Raymond est-il le seul responsable de la fin tragique de sa tante ? Mérite-t-il vraiment le sort qui lui est réservé ?
Mon commentaire:
Ce roman est une très belle surprise. Campé dans le Québec des années 50, encore sous le joug de la religion et des qu'en dira-t-on, on y sent un vent de changement, un pas dans la modernité avec l'apparition de la télévision dans les foyers, le développement des communications, le téléphone automatique (sans devoir passer par une téléphoniste), le cinéma (pointé du doigt par l'église) et le développement des manufactures qui donnent du travail aux hommes et change la donne en matière d'emploi.
On découvre une petite communauté d'Alma par l'entremise d'Émilien, un nouvel arrivant au village, qui compte développer un commerce d'antennes de télévision. Si les gens sont méfiants au départ, les langues se délient rapidement lorsqu'on constate les bonnes intentions de cet étranger. Émilien s'intéresse à une maison à vendre pour une bouchée de pain, maison qui suscite la répulsion et l'horreur chez les villageois: c'est là qu'un crime a été commis. Sans le vouloir, Émilien se retrouve en plein coeur d'un drame familial...
Le jeune Raymond a tué sa tante et est reconnu coupable. Il sera bientôt pendu pour son crime. Il attend l'exécution de sa sentence en prison, à des kilomètres de son village natal. De son côté, sa mère se prépare à affronter le pire: la pendaison de son propre fils, sa mort et les préparations de son enterrement. Au village, chacun doit expier ses fautes, affronter ses tourments et ses secrets, et faire face à sa propre négligence dans la relation entre Raymond et sa tante qui a dégénéré en crime passionnel.
L'époque abordée dans le roman est très intéressante. Le roman se déroule après l'affaire Coffin, une affaire retentissante au Québec, qui impliquait un prospecteur gaspésieur, Wilbert Coffin, pendu pour le meurtre de trois chasseurs américains. Une affaire qui a eu lieu dans les années 50 qui est toujours commentée et remise en question de nos jours. L'histoire fictive de Raymond se déroule après l'affaire Coffin. La peine capitale est toujours d'actualité, même si on la remet de plus en plus en question depuis l'affaire Coffin et sa pendaison, alors qu'il hurlait son innocence et que son procès fut truffé d'irrégularités. Raymond, lui aussi, sera pendu.
Les chapitres du roman alternent entre l'attente insoutenable pour les personnages concernés par la pendaison de Raymond et la vie à Alma. Son crime divise sa propre famille, puisque tous les membres sont touchés à différents degrés, mais elle divise aussi le village où le jeune Raymond a grandit. La famille de Raymond est stigmatisée par le crime du fils. Pointée du doigt, jugée, l'affaire est commentée partout et il est de plus en plus difficile pour les parents, les frères et soeurs de Raymond de vivre normalement. À travers les souvenirs des uns, les gestes des autres, les querelles familiales et la culpabilité, le lecteur découvre par bribes le crime et ses répercussions sur toute une communauté. On apprend à connaître les différents personnages par leurs souvenirs et on comprend peu à peu plusieurs aspects de leur personnalité.
La dernière peine est un roman très bien écrit. On y retrouve une fine description psychologique des personnages. C'est un roman que j'ai lu sans pouvoir m'arrêter. Le sujet, même s'il est terriblement difficile, est passionnant: il suscite la discussion et provoque les émotions. C'est un roman qui pose beaucoup de questions et qui offre des pistes de réflexion sur la justice et la morale. On y aborde, outre la peine capitale, la religion, la place des filles-mères et de leurs enfants dans la société de l'époque, l'indépendance des femmes, l'homosexualité et la culpabilité. On assiste, impuissants, à la chute vertigineuse d'une famille entière, qui se déchire et cherche à comprendre ses fautes.
La dernière peine est un roman qui raconte la génèse d'un grave événement et tout ce qu'il peut engendrer et avoir comme répercussion sur une communauté. Un peu comme un jeu de domino dont toutes les pièces s'effondrent, une à la fois. C'est une histoire poignante qui offre malgré tout un peu de lumière dans les relations familiales, amoureuses et amicales des personnages. On sent pointer de l'espoir pour l'avenir. Le temps panse les blessures...
Un excellent roman qui est un coup de coeur, à cause de la réflexion et des émotions qu'il suscite. À lire!
À noter que Line Gaudreault est l'auteure d'un autre roman, Le procès d'Emily, où elle raconte l'histoire vraie du premier procès pour meurtre au Saguenay Lac-St-Jean. Je compte bien le lire!
Quelques extraits:
"Jocelyne a compris qu'elle ne pourra éteindre le mal qui consume le coeur brisé de sa soeur. Cette douleur-là ne peut pas être soulagée. Contre le mal de mère, Jocelyne ne connaît aucun remède. Elle la serre contre elle et ne souffle mot. Il n'y a pas plus intense et plus douloureux qu'une peine d'amour maternel, reconnaît Jocelyne, compatissante." p.64
"Le doute est un manège terrifiant." p.65