Etes-vous particulièrement fascinée par les destins de femmes riches et célèbres ?
Oui, la réussite me fascine. Les Charteris sont bien au-delà. Elles sont riches, mais, pour elles, c’est normal, cela leur permet d’être légères et inconséquentes. Elles croquent la vie à pleines dents. Le luxe m’attire, je le reconnais, mais c’est surtout pour la légèreté qu’il procure et, chez les Charteris, c’est ce que j’ai voulu faire ressortir, ce côté aérien …
D’où vous est venue l’idée de peindre le monde de l’aristocratie anglaise des années trente ? En quoi stimule-t-il votre travail d’écrivain, votre imaginaire ?
Pour sa liberté. Quand on a tout, on peut aller toujours plus loin. Dans les années 30, la guerre de 14 avait laissé des traces indélébiles, la crise aussi. Les jeunes gens avaient une envie folle de vivre pleinement l’instant, sans jamais en mesurer les conséquences. Ce monde est-il arrogant ? Peut-être, tout dépend de quel point de vue on se place. Pourquoi stimule-t-il mon imaginaire ? J’aime leurs principes, leurs usages, la façade qu’ils montrent au monde : ils sont dignes en toute circonstance. Mais, en secret, ils se prêtent à toute sorte d’actes vils. Derrière les portes closes de Belgravia, les orgies sont autorisées. Ce décalage me séduit !
Vous êtes une spécialiste de Shakespeare, de Jane Austen: vous placez-vous dans la veine de la littérature anglaise ?
Oui, même si la litterature américaine me charme tout autant. Je suis portée depuis longtemps par les écrivains anglais. Les sœurs Brontë ont été à l’origine de tout, Emily surtout. Quand vous pensez que cette jeune fille n’a rien vu d’autre que le presbytère d’Haworth et la lande alentours et qu’elle a pu concevoir le personnage d’Heathclif, c’est incroyable. Je me place dans la veine d’Evelyn Waugh et de Nancy Mitford. Cette génération était d’une légèreté insupportable, les « bright young things », c’est tout dire … j’aurais tout donné pour vivre à cette époque … Si je devais partir sur une île déserte, j’emporterai « Hamlet ». Chaque vers est à redécouvrir, on n’a pas assez d’une vie pour relire Shakespeare.
Vous êtes-vous beaucoup documentée et comment ? Plantez-nous le décor historique. Quelle est la part de fiction et la part historique ?
Mon but n’était pas de raconter cette époque. Elle me sert de « background ». Je ne veux pas noyer mon lecteur sous des faits historiques. Mes personnages portent mon récit. 1936 est une période charnière : le monde va basculer dans l’horreur. J’ai essayé de retrouver ce qui symbolise ce temps, comme la SS One ou Swallow Standard, cette fabuleuse voiture, longue, effilée, avec un habitacle court. C’est l’ancêtre de la Jaguar : on roulait en SS !! C’est une caricature de voiture un peu comme dans les dessins animés de Tex Avery. Les voitures ont tant à raconter ! J’ai toujours des automobiles de légendes dans mes livres, j’adore cela ! Je possède aussi une encyclopédie sur les costumes du XXème siècle : je pourrais tout vous raconter sur la mode, les bijoux les dessous.
Nous sommes en 1936, vous évoquez les liens entre la noblesse anglaise et les hitlériens. Comment expliquer leur
Relisez le livre fabuleux d’Ishiguro, « The remains of the Day » … Les Anglais étaient impérialistes. Ils aimaient l’ordre. Ils sont un peuple de militaires, n’ont rien de latin. Ils ont vu l’Allemagne renaitre de ses cendres et ils ont apprécié. Le fascisme était tentant. Et puis, il y a eu Mosley et ses Black Shirts, les jeunesses hitlériennes à l’anglaise. Oui, la plus grande partie de l’aristocratie était pro-allemande. D’ailleurs, Edward VIII n’a jamais caché ses sympathies pour Hitler ; on l’a envoyé à la Barbade pendant la guerre, il fallait l’éloigner à tout prix. En 36, on ne savait pas encore qu’Hitler était un monstre, plus tard, l’Angleterre s’est rangée du côté des alliés. Presque à contrecœur. Rentrer dans la bataille, oh non ! les Anglais ne le voulaient pas ; Passchendaele avait laissé des traces …
Comment avez-vous créé les personnages truculents de Tess, Vita, Sissi, leur frère… ?
Je ne les ai pas créés, ils sont venus à moi. J’avais envie d’insolence, de gens insupportables, mais qu’on adorerait. Pourquoi ? Je ne peux le dire, j’avais envie de leur donner des paires de claques mais cela aurait servi à quoi ? Ils auraient éclaté de rire et moi avec. Ils ont surgi un jour, comme cela, des filles trop belles, des garçons androgynes, une insolence, une allure, des Anglais quoi …
Vous êtes-vous inspirée des sœurs Mitford ?
Oui j’ai pensé à Unity Walkyrie qui, à 17 ans, voulait épouser Hitler et passait son temps dans les brasseries à Munich pour essayer de voir celui qui lui faisait battre le cœur. Mais elle était bien trop maquillée pour le Führer. Et puis, il y a eu Diana ; la troisième des sœurs Mitford était sublime, visage et corps de rêve, un cygne. Tous les écrivains étaient amoureux d’elle. Elle épousa l’héritier des brasseries Guinness et fut bientôt à la tête d’une immense fortune. Un jour, elle croisa Oswald Mosley, un nobliau qui eut un temps des humeurs travaillistes et bascula du côté des fascistes. Diana était folle de lui. Et pourtant, il la trompait à tout de bras. On dit qu’il la révéla sexuellement. J’ai pensé à Mosley pour le personnage de Peter Blake. Les Mitford sont fascinantes : l’une est communiste, les deux autres, fascistes, la suivante, romancière. L’une se marie en noir ; la dernière est aujourd’hui la femme la plus riche d’Angleterre.
Vous avez un grand sens des dialogues. C’est un exercice naturel chez vous ?
Je ne sais pas faire autre chose. Et puis, ce n’est pas moi, ce sont mes personnages qui parlent : ils sont insupportables, incapables de se taire …