Employé au stade Giuseppe Meazza, voilà l'un des meilleurs jobs au monde. En effet, les titulaires de cette sinécure ont l'immense chance de pouvoir assister, sans bourse délier, à tous les matches à domicile du Milan AC et de l'Inter. Excusez du peu.
En tout cas, en ce 6 mars 2011, tous ceux qui ont eu le bonheur de fréquenter les travées de l'ex San Siro ont dû se faire grandement plaisir. Le téléspectateur aussi, d'ailleurs. Et que dire des joueurs sur le terrain ?
La représentation fut offerte en deux actes : la première et la deuxième mi-temps. En première période, on a vu l'Inter que l'on déteste : zéro automatisme, attaques hésitantes, défense laxiste, inspiration absente. Une équipe de guerriers sans stratège, qui semblait gérer le match faute de mieux.
Eto'o, aligné à gauche, se démenait sans pouvoir créer le moindre danger. Maicon, égal à lui-même, gérait le côté droit en phase offensive, et se faisait gérer par son vis-à-vis à chaque contre-attaque. Sneijder, aligné dans l'axe, manquait à l'appel sur chaque montée. Parti on ne sait où, comme le premier Jean II Makoun venu. Pazzini, l'homme qui a renvoyé Milito sur son canapé, errait sur la ligne d'attaque comme une âme en peine, ratant consciencieusement chaque contrôle. Seul Zanetti, le capitaine-courage de cette drôle d'équipe, se battait sur chaque duel et se montrait disponible pour ses coéquipiers.
Ce qui devait arriver arriva : on joue la 40e minute et il est 15 h 40 (l'heure du crime). Abdoulay Konko tricote plein axe, gentiment escorté par les milieux défensifs de l'Inter (allez, on donne les noms : Zanetti, Thiago Motta et Ranocchia). Il alerte vers sa droite, dans la profondeur, un Rodrigo Sebastian Palacio "oublié" par Chivu. L'Argentin n'a plus qu'à fusiller Julio César. Genoa 1 - Inter 0. On se dit que les cinq dernières minutes de la mi-temps vont être vésuviennes, et elles le sont en effet. En retournant dans leurs vestiaires, les Nerazzurri se font copieusement siffler par des tifosi qui savent bien que ce n'est pas le moment de laisser le Milan AC reprendre son souffle. On peut aussi supposer qu'ils avaient entonné l'air de "On s'est tant détestés" en ayant aperçu, sur les écrans, le crâne tondu de Mario Balotelli, venu prendre le soleil sur le lieu de ses exploits de jeunesse.
Les 15 minutes de la pause appartiennent aux coaches, et c'est là que la décision a été faite. Leonardo, le sorcier venu de chez le voisin, réunit ses boys et leur tient à peu près ce langage : "vous savez jouer au football, vous êtes des gagneurs. Alors, arrêter de fuir le contact et de bouger sur le terrain comme des électrons paumés. Osez des gestes, jouez vers l'avant, rendez vous disponibles lorsque le coéquipier a le ballon. En tout cas, débrouillez-vous, mais je veux un but dans les 10 minutes."
Quant à Ballardini, tout ce qu'on peut lui reprocher c'est de n'avoir pas recentré son milieu. En effet, cette absence de densité explique largement la tournure que prendront les événements.
Au retour des vestiaires, les locaux partent tout de suite à l'attaque. L'esprit a totalement changé. Le dispositif aussi : Stankovic a laissé sa place à Pandev. Le message est clair, Leonardo joue la blitzkrieg. Avec l'entrée du Macédonien, Eto'o retrouve un peu plus de liberté et repique régulièrement dans l'axe, position dans laquelle il n'aurait jamais dû partir (message à Leonardo). C'est dans l'une de ces phases que le Camerounais allume la première mèche : Après avoir fait reculer la défense face à lui sur une dizaine de mètres, il crée la copie parfaite de la passe de Konko, mais la sienne va vers Maicon. Centre tendu, à ras de terre du Brésilien, et reprise à bout portant de Pazzini dans la lucarne d'Eduardo. Un but de pur instinct qui réveille le stade. Le match est relancé, et on sent que Il Serpente tient sa proie à la gorge et ne va pas lui laisser le temps de comprendre.
En effet, exactement une minute plus tard, Goran Pandev pénètre (encore) plein axe, et bombarde Eduardo sans état d'âme. Le gardien portugais ne peut que renvoyer le ballon, et alors qu'il tente de le récupérer, il doit se demander si un mauvais génie le fait tourner au ralenti. En effet, Samuel Eto'o, qui était deux fois plus loin que lui du ballon, jaillit comme un éclair et, du bout du pied, corse l'addition. La vitesse et l'explosivité du striker camerounais sont proprement phénoménales, et il faut reconnaître que la défense de Genoa ne pouvait pas faire grand'chose sur ce coup là.
A 2-1, les Génoviens y croient encore, et le montrent en attaquant tous azimuts. En même temps, on s'inquiète pour eux, car l'Inter reste affûtée et dangereuse, portée par un Giuseppe Meazza en délire. En effet, 6 minutes seulement après son premier but, Samuel Eto'o double son score personnel en concluant du gauche une action dont il assume pleinement l'entière responsabilité : il récupère sur la gauche, pénètre vers l'axe, déborde, s'infiltre et marque. Le meilleur attaquant du monde est au sommet de sa forme et tient à ce que cela se sache. Quant aux visiteurs, à ce moment du match, ils savent qu'ils repartiront avec un carton. Reste à savoir de quelle contenance.
Quels sont les ingrédients d'un match parfait ? Il faut un scénario de type "thriller" (avec du suspense, des rebondissements et des retournements de situations), de l'émotion et des buts pour chacun.
Ce match fut donc parfait, car l'émotion est arrivée avec le 5e but intériste, marqué par Yuto Nagatomo à la 84e minute. Premier pion intériste du lutin japonais, et gros plans de caméra sur les supporters nippons (dûment équipés du Nikkon traditionnel) dans les tribunes. Une grosse pensée aussi à tout l'archipel qui, là-bas au bout du monde, s'est pris de passion pour le Calcio et partage la joie de l'enfant du pays. En plus, le but est splendide, ce qui ne gâche rien. Entre-temps, Pandev avait marqué le 4e but, mais lui est un habitué, passons donc.
La perfection du match fut parachevée par le 2e but offert grâcieusement par la défense de l'Inter aux visiteurs en toute fin de match. Mauro Boselli reprend de la tête un centre de Paloschi et propulse le cuir au fond des filets de César, qui fait semblant de bouger, juste pour la photo. A Milan, on sait recevoir. Qu'on se le dise.
Le score final de 5-2 envoie les tifosi au ciel. Et aussi dans les bars de la ville, où ils ne risquent pas beaucoup de croiser les supporters du Milan AC. L'équipe chère au coeur de Silvio Berlusconi (oui, le Cavaliere a AUSSI du coeur) a souffert mille morts hier pour venir à bout de la pitoyable Juventus de Turin. Plus que jamais, les cousins sentent à leurs talons le souffle brûlant des Moratti Boys.
Cette fin de saison sera dantesque !
Temps forts du match en vidéo :
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