" Le plus génial avec l'interface c'est qu'elle sait toujours exactement de quoi on a envie, parfois même avant qu'on le sache soi-même ". Comme celle de tout être humain, la vie de Titus est en permanence conditionnée par son «interface», un émetteur implanté dans son cerveau dès sa naissance. Jusqu'au jour où il rencontre Violet, incroyablement belle mais surtout étonnamment libre, différente. Capable de penser par elle-même et au risque de perdre la vie, elle veut résister à ce pouvoir qui contrôle les agissements et les désirs des hommes. Mais bientôt l'interface de Violet se dérègle. Titus va affronter une vérité à laquelle rien ne l'a préparé…
- Gallimard Jeunesse -
" Les êtres humains ne seraient plus des individus, mais un marché ", tel est le message de M.T. Anderson en racontant cette histoire.
Prenant le contexte d'un récit de science-fiction - Terre totalement détruite par la pollution de surproduction-surconsommation, vie reconstituée artificiellement sous bulle, déplacement en aérocar, colonisation des planètes du système solaire, stérilité de la population due aux radiations qui recourt au conceptorium avec possibilité de choix des caractères génétiques, usage banalisé des drogues hallucinogènes... - l'auteur met en scène une société américaine totalement sous contrôle, formatée par cette interface, un implant cérébral relié aux médias dirigés par les " corporations " industrielles. Le rêve américain dans toute son horreur et ses excès. De l'information orientée, des conseils personnalisés à caractère commercial diffusés en permanence, des stimulations qui parasitent la pensée, ne lui accordent aucun répit. Le texte lui-même est entrecoupé de ces messages tronqués, flash politiques et propagandistes, annonces, réclames, génériques, chansons. C'est édifiant. Et affolant. Cette interface est une prison perverse. Les individus sont ainsi surveillés économiquement dès leur plus jeune âge - l'enseignement est pris en charge par les corporations - , chacun de leurs actes soumis aux statistiques d'une logique de profit dont le principe est de définir un profil de consommateur - codés, décodés -, dépendants de cette interface qui déroule toute leur vie. La connexion permet la télépathie, rendant paradoxalement la communication superficielle et caduc l'usage des mots, oraux ou écrits. Le langage, efficace et direct, s'appauvrit au profit de cette spirale aspirante d'images et de jingles lançant incessamment des modes. Restez branché ! La voix enthousiaste et mielleuse d'une conseillère brouille et remplace l'esprit critique, la capacité de réflexion, la conscience, s'immisce dans les émotions au mépris de toute intimité.
" Elle me caressa le visage.
- Il me reste peu de temps, dit-elle. Il y a tellement de choses que je voudrais faire.
Ce n'était pas un truc évident à dire parce que, à la façon dont elle me caressait le visage, cela pouvait signifier une chose, mais d'un autre côté, cela signifiait probablement autre chose, et ce serait drôlement embarrassant si je me trompais dans mon interprétation. Et si je disais un truc pour m'apercevoir ensuite qu'elle pensait en fait à une balade au Sahara, ou je ne sais quoi ? Ce serait la honte.
Je dis :
- Tu veux dire...Est-ce que je dois comprendre que... tu sais... nous deux...
Mon interface me glissa : Vous balbutiez ? Vous ne savez plus quoi dire ? Si vous êtes en manque de réparties, prenez Cyranofeed, disponible à des tarifs défiant toute..."
Certes, il est possible de qualifier ce roman d'histoire d'amour. Mais la rencontre de Titus et Violet est portée par un récit puissant qui assène ces chapitres, par une écriture vive, orale, un esprit résolument adolescent. Des portraits au vitriol accompagnent le cynisme sous-jacent et racontent une apocalypse : agonie environnementale, celle d'une population américaine sans cervelle, monstrueuse et manipulée, les corps se couvrant des séquelles de la destruction, l'esprit réduit au matérialisme et à l'instantané, oublieuse de son humanité, du reste du monde que sa politique économique va précipiter dans un ultime conflit.
Une vision désespérante magistrale, une excellente dystopie qui m'a rappelé par le ton et le propos le roman de Scott Westerfeld Extras ( si ce n'est que dans ce dernier, la connexion cérébrale est liée à l'économie de réputation, aux pouvoirs des réseaux sociaux )
L'épilogue revient à Titus :
" C'est à propos de l'interface [...] C'est l'histoire d'un garçon tout ce qu'il y a de normal, qui ne réfléchit jamais à rien jusqu'au jour où, miracle ! il rencontre une dissidente au coeur d'or. A l'arrière-plan, on entrevoit l'Amérique en train de vivre ses derniers jours. C'est l'histoire de leur amour à tous les deux. [...] Ensemble, les deux gamins grandissent, se livrent à de folles escapades et prennent une grande leçon d'amour. Ils apprennent à résister à l'interface. Déconseillé au moins de treize ans. A cause du langage, et de quelques scènes à caractère sexuel. "
- Le billet de Brize - Celui de SBM -
- Collection poche Pôle Fiction ( première parution : collection Scripto 2004 ) - Traduit de l'anglais par Guillaume Fournier -
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