La lecture du rapport sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne remis vendredi 4 mars par la Cour des Comptes à Nicolas Sarkozy est très instructive. Sous un langage prudent et froid, louant les velléités du moment de gouvernance économique commune ou d'harmonisation européenne, les Sages de la Cour des Comptes relèvent au fil de leurs conclusions les contre-vérités et vraies erreurs de l'argumentation habituellement servie par le Président des Riches et ses proches depuis des mois.
1. Sarkozy s'est trompé de débat. L'été dernier, il avait abrité la suppression du bouclier fiscal et l'assouplissement de l'ISF sous l'argument qu'il fallait renforcer la compétitivité française en se calant sur le modèle allemand en matière de fiscalité du patrimoine. Pour la Cour, dans « le débat actuellement engagé sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, (...) la comparaison avec l’ Allemagne n’apporte au demeurant aucun éclairage décisif.» C'est dit.
Elle précise cependant que l'Allemagne taxe certes moins le capital que la France : cette taxation représente 6,9% de son PIB (en 2008). Elle pèse 9,8% du PIB français. Cette taxation a toujours été très faible (6,8% en 2000). En fait, la différence principale provient de l'imposition du « stock de capital » (4,5 points des 9,8% français; contre 1 point des 6,9% allemands) : taxe professionnelle (21 milliards, désormais remplacée par une contribution économique territoriale), taxe d'habitation (13 milliards), et taxe foncière (23 milliards, soit le double en France qu'en Allemagne); l'ISF « ne représente cependant qu’une part très limitée de l’écart », insiste la Cour. Les prélèvements sur les revenus du capital sont eux similaires.
2. S'il faut parler du patrimoine, il faudrait mieux taxer les plus-values. En effet, l'Allemagne taxe davantage ses revenus et les plus-values; la France taxe un peu tout (détention, transmission, cession), et mal. « La France, pour sa part, a fait des choix de politique fiscale qui conduisent à taxer le patrimoine sur l’ensemble de la chaîne de la détention à la cession/transmission en passant par les revenus, et ce à des niveaux qui se sont accrus au fil du temps, au point d’atteindre un poids économique nettement supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE.»
3. Le bouclier fiscal n'existe pas en Allemagne. Sarkozy s'est longtemps abrité derrière cet exemple faux pour justifier sa propre mesure de renforcement à 50% en 2007. Ses proches ont depuis reconnu que Sarkozy mentait. « De fait, n’a donc jamais été appliqué, en pratique, un quelconque principe de « bouclier fiscal » en Allemagne.» En 2010, le bouclier fiscal concernait 19.000 contribuables pour 700 millions d'euros.
4. Si Sarkozy voulait faire converger nos fiscalités, il devrait s'attaquer aux niches fiscales des plus riches. En France comme en Allemagne, la fiscalité des hauts revenus est similaire, mais les niches fiscales sont moins importantes outre-Rhin. La Cour relève même que le système français est « plus favorable aux hauts revenus et à partir de trois enfants. » Bizarrement, ce point n'est jamais retenu par le Président des Riches. « Le système français juxtapose allocations et déductions fiscales, ce qui n’est pas le cas du système allemand. »
5. Sur le coût du travail, la question n'est pas celle du poids des prélèvements, mais de leur répartition. Les prélèvements sur les revenus du travail sont similaires en France et en Allemagne : « L’imposition des revenus du travail est comparable entre les deux pays », mais « sa structure est en revanche très différente ». . La France prélève davantage de cotisations sociales, surtout sur les employeurs (60%), et toutes sortes de taxes qui n'existent pas outre-Rhin (taxe sur les salaires, versement transport, taxe d’apprentissage...); l'Allemagne préfère l'imposition des revenus des ménages.
6. En France, les recettes de fiscalité environnementales n'ont cessé de chuter depuis 2003. Où est passé le Grenelle ? Les Allemands taxent davantage l'énergie que les Français. « Le niveau de la fiscalité environnementale (entendue au sens large), est plutôt supérieur en Allemagne.»
7. En Allemagne, on travaille effectivement plus qu'en France... mais à temps partiel. On savait déjà que les durées du travail à temps complet en France et en Allemagne étaient similaires. La Cour des Comptes enfonce le clou : concernant les salariés à temps plein, « la durée de travail hebdomadaire moyenne en 2009 est légèrement plus longue en Allemagne qu’en France (respectivement 41,2 heures et 40,9 heures) ». En revanche, « le temps partiel s’est beaucoup développé en Allemagne : il a augmenté de 6,7 points depuis 2000, et représentait en 2009 26,1 % de l’emploi total. » En France, on se félicite des exonérations de cotisations sociales pour certains bas salaires ou les heures supplémentaires. En Allemagne, cette exonération porte surtout sur le temps partiel et la part salariale. Conséquence, le taux d'emploi est plus important... outre-Rhin.
8. La compétitivité de l'Allemagne tient à des facteurs « hors prix » que la Sarkofrance occulte souvent : qualité perçue supérieure des produits « Made in Germany », développement de filiales en Europe de l'Est, et plus grande diversification géographique. La Cour reconnaît aussi que « l’évolution des coûts salariaux horaires a été défavorable à la compétitivité de la France sur la période 2000-2008 », relevant un « écart de 10 points entre les taux de croissance des coûts salariaux en France et en Allemagne sur la période 2000-2008. » Mais elle modère le constat : la compétitivité-coût de l'Allemagne vient de sa modération salariale depuis l'alignement des salaires de l'ex-RDA sur ceux de l'ex-RFA en 2000. En d'autres termes, l'Allemagne partait de beaucoup plus haut que la France à l'aube des années 2000, pour une productivité, à l'Est de son territoire, plus faible.
9. La fiscalité des sociétés est proche dans les deux pays, et ce n'est donc pas un facteur de différenciation de compétitivité... : « les niveaux de prélèvements effectifs sont proches et classent les deux pays parmi ceux dont la fiscalité est élevée et dont l’attractivité et la compétitivité ne peuvent principalement reposer sur ce paramètre.» Il faut rappeler qu'en France, les PME sont davantage taxées par l'IS que les entreprises du CAC40.
10. La comparaison des taux de prélèvements obligatoires n'a pas de sens à cause des périmètres différents de l'assurance sociale : « La couverture des risques par la protection sociale obligatoire est plus large en France qu’en Allemagne.» En matière de retraites, les Allemands recourent ainsi massivement à des assurances privées, qui ne sont pas comptabilisées dans les comptes publics : « 15 millions de personnes (35 % de la population active) sont couvertes par un régime de retraite d’entreprise privée et donc hors prélèvements obligatoires.» Les conseillers concluent : « On peut certes noter une tendance à la réduction des prélèvements plus marquée en Allemagne ces dernières années, l’écart atteignant 3,5 points avec la France en 2008, mais cet écart tient pour une part significative au périmètre de son système de protection sociale obligatoire.»
11. Faut-il seulement converger vers l'Allemagne ? La Cour dresse un bilan peu flatteur de l'évolution des conditions sociales, et notant une augmentation de la pauvreté et des inégalités de revenu plus forte outre-Rhin qu'en France. En matière de pauvreté au travail, l'Allemagne a quasiment rattrapé la France depuis 2000 : « Le taux de travailleurs pauvres a augmenté en Allemagne (de 4 % en 2000 à 6,8 % en 2009), tout en restant inférieur à la moyenne de l’Union européenne à 27 (8,6 % en 2008). En France, la pauvreté au travail est passée de 7 % en 2000 à 6,7 % en 2009, et est désormais identique au niveau allemand.»
12. La véritable convergence fiscale devrait concerner la TVA selon la Cour des Comptes. La TVA française a un taux réduit plus bas qu'en Allemagne (5,5% contre 7%); ce taux réduit « s’ étend largement au-delà des biens et services de première nécessité auxquels l’ont cantonné d’autres pays comme l’Allemagne » ; et « la multiplicité des taux dérogatoires, qui conduit à l’existence de 7 taux de TVA différents en France alors que l’Allemagne n’en utilise que 2.»
13. Les Allemands ont mis en oeuvre une « TVA sociale », c'est-à-dire qu'ils ont fait porter la baisse de 1,6 points des cotisations sociales (-2 points pour les cotisations chômage; -0,4 point pour la retraite) par un relèvement de la TVA, en 2007. Mais la Cour note surtout (1) que les Allemands acquittent d'un impôt sur le revenu bien plus étendu que leurs voisins français (les impôts directs représentent 29,3% du total des taxes, contre 27,6% en France); (2) le taux de TVA, avant réforme, était plus bas qu'en France (16% devenu 19%) ; (3) après une baisse du taux marginal de l'Impôt sur le revenu en 2001 (de 53 à 42%), ce dernier a été relevé en 2008 à 45%. En France, Nicolas Sarkozy s'est refusé à tout relèvement de l'IR pour les plus riches, alors que la TVA sociale est régulièrement évoquée depuis juin 2007 malgré un taux de TVA déjà hors normes (19,6%). La Cour rappelle que Nicolas Sarkozy a au contraire baissé de 0,6 point de PIB les prélèvements fiscaux à cause de la loi TEPA... sans réussir à réduire, comme en Allemagne, le déficit budgétaire. Au final, les prélèvements indirects - les moins redistributifs car dé-corrélés des revenus des foyers, représentent 15% du PIB en France (2008), contre 12,8% en Allemagne (et 13,8% en Europe). Les prélèvements directs sont comparables (11,8 contre 11,5). Les cotisations sociales affichent 1 point de PIB d'écart, aux détriments de la France, même si elles ne recoupent pas la même réalité.
14. L'Allemagne recourt en effet massivement à l'impôt sur le revenu (IR) : ce dernier représentait 239 milliards d'euros en 2008 (sur 1.244 milliards de prélèvements obligatoires; soit 9,6% du PIB), contre 50 milliards en France (sur 770 milliards; soit 2,6% du PIB). En France, l'exonération des 50% des ménages les plus modestes (par ailleurs frappés par la fiscalité indirecte) et l'abus de niches fiscales utilisées par les plus riches a transformé l'IR en un panier percé. En France, la CSG et le CRDS, qui pèsent sur tous les revenus (travail, capital) ne compensent pas l'écart (90 milliards d'euros (4,6% du PIB). En Allemagne, l'IR se déclenche plus tard (7.834 euros contre 5.875 euros), mais il est ensuite plus lourd qu'en France. Onze millions de foyers sont non imposables par l'IR (contre 9 millions en France). La Cour des comptes note que le quotient familial, « une spécificité bien française », profite « d’autant plus (...) que le revenu imposable est élevé.»