Dans les colonnes du Monde du 24 février, le philosophe slovène Slavoj Zizek, signait une remarquable tribune dans laquelle il pointait le règne de la peur. “La seule manière d’introduire de la passion ici passe par la peur : peur des immigrés, peur du crime, peur de la dépravation impie, peur de l’intrusion étatique, peur de la catastrophe écologique, mais aussi peur du harcèlement (le politiquement correct est la forme libérale paradigmatique de la politique de la peur)“.
Et de relever que, “l’événement majeur de la première décennie de ce nouveau millénaire, c’est que la politique anti-immigration a quitté les marges de l’extrême-droite pour devenir discours dominant“.
Slavoj Zizek, dérange lorsqu’il souligne qu’il n’existe pas de xénophobie modérée, acceptable. Il s’appuie sur l’exemple de Robert Brasillach qui en 1938 se voyait comme un antisémite “modéré”, allant même jusqu’à formaliser le concept de “l’antisémitisme de raison” : “Nous ne voulons tuer personne, nous ne désirons organiser aucun pogrom. Mais nous pensons aussi que la meilleure manière d’empêcher les réactions toujours imprévisibles de l’antisémitisme d’instinct est d’organiser un antisémitisme de raison.” On sait ce qu’il en advint.
Aujourd’hui, la xénophobie “de raison” ou “modérée” développée par l’UMP conduit la France vers le pire. Elle ouvre un boulevard au FN comme en attestent les derniers sondages qui placent Marine Le Pen en tête au premier tour des présidentielles de 2012. Si les chiffres à 14 mois de l’échéance n’ont que peu de valeur, ils dessinent néanmoins une tendance qui, parce qu’elle est dérangeante, ne doit pas être ignorée.
L’irrésistible ascension de Marine Le Pen marque l’échec de la stratégie de Nicolas Sarkozy qui consiste à coller aux thèses du FN et à déplacer le centre de gravité de la vie politique française toujours plus à droite.
Commentant ce sondage qui fait grand bruit, Marine Le Pen a déclaré que 2012 offrira le choix entre “un projet nationaliste et un projet mondialiste qui peut être représenté par Nicolas Sarkozy, soit par Dominique Strauss-Kahn ou par Martine Aubry“. La jeune louve du FN use des vieilles ficelles de l’extrême droite pour opposer les défenseurs de la France éternelle à un cosmopolitisme honni.
On ne construit pas pourtant une communauté de destin sur le sentiment de peur. “Le courage consite à dominer sa peur, non pas à ne pas avoir peur” écrivait François Mitterrand dans Mémoire à deux voix. Face à une majorité présidentielle qui joue avec le feu, la gauche hérite d’une responsabilité toute particulière. Il lui appartient notamment de proposer un projet dépassant les clivages traditionnels, axé autour d’une République rénovée et ouverte au monde. La France doit renouer avec un universalisme qui a fait sa grandeur.
Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. Aux oiseaux de malheur qui attisent aujourd’hui les peurs en mettant en avant des menaces qui pèseraient sur nos modes de vie en général et notre héritage chrétien en particulier s’oppose le “N’ayez pas peur !” prononcé à de multiples reprises par Jean-Paul II.
En 1978, lors de la messe inaugurale de son pontificat , ce premier Pape issu des pays de l’Est et très engagé dans la lutte contre les dictatures communistes, prononça ces mots empruntés au Christ (Matthieu 28.1-15). L’ancien archevêque de Cracovie parlait en connaissance de cause. L’instrumentation de la peur est un outil classique des régimes autoritaires.
La peur, mère de toutes les dérives, est mauvaise conseillère. Un constat partagé par le Cardinal de Retz qui estimait que, “de toutes les passions, la peur est celle qui affaiblit le plus lejugement“. Ce qu’en des termes plus modernes Jean Anouilh devait traduire par “Les hommes, c’est comme les chiens, ça mord parce que ça a peur“. Français, n’ayez pas peur !