Elégance suprême

Publié le 07 mars 2011 par Toulouseweb
EADS ne fera pas appel du choix du ravitailleur de Boeing.
La messe est dite, les dés sont jetés, la page est tournée : EADS a reconnu sa défaite, officialisant de facto le choix par le Pentagone de la proposition de Boeing pour remplacer un premier lot de 179 ravitailleurs KC-135R. Ralph Crosby, président d’EADS North America, a tout naturellement regretté cet épilogue, utilisant pour ce faire un curieux euphémisme : Ťdissatisfying outcomeť. Ni plus, ni moins. Désormais, la voie est totalement libre pour le KC-767A, rebaptisé KC-46A par les militaires. Ecartant l’hypothčse de tout recours, EADS referme le dossier avec une élégance supręme dont on doit espérer qu’elle soit reconnue et appréciée ŕ Washington. Mais est-ce pour autant la fin de l’histoire ? Pas sűr !
Pour autant que des budgets adéquats soient disponibles le moment venu, deux autres commandes de ravitailleurs seront placées ultérieurement pour assurer le remplacement d’un total de 400 KC-135R vieillissants. Dčs ŕ présent, on peut se demander si EADS tentera alors ŕ nouveau sa chance, malgré un handicap de taille. Il lui faudrait en effet imposer au Pentagone le choix d’un deuxičme type d’appareil, une hypothčse peu séduisante d’un point de vue opérationnel.
D’ici lŕ, il conviendra aussi observer la maničre dont Boeing gérera sa victoire. Sachant que le critčre qui a conduit ŕ écarter la proposition européenne est financier, on est en droit de se demander si la volonté de l’avionneur américain de casser les prix risque d’avoir des conséquences plus ou moins graves. En faisant appel au sens de l’humour trčs particulier du complexe militaro-industriel, le vrai vainqueur pourrait trčs bien ętre le concurrent qui n’a pas remporté la victoire...
Côté prix, précisément, les informations actuellement disponibles sont incomplčtes, invérifiables et contradictoires. Le montant du contrat passé ŕ Boeing pour la fourniture de 179 KC-46A serait de 31,5 milliards de dollars, soit un prix unitaire de 175,9 millions de dollars, aprčs d’importantes concessions de derničre minute. Le prix catalogue du 767-400 civil, tel qu’affiché par le constructeur,est de 180 millions, ce qui laisse supposer que les sacrifices consentis par Seattle sont trčs relatifs. Le KC-330 européen était plus cher, dit-on, probablement de 10%, le prix catalogue de la version fret de l’A330F étant de 203,6 millions de dollars.
Une double conclusion apparaît, ŕ savoir que Boeing fait une bonne affaire tandis que le tandem EADS/Airbus confirme implicitement qu’il n’était pas disposé ŕ acheter des parts de marché ou ŕ payer un droit d’entrée sur le marché américain de la Défense. En d’autres termes, les observateurs américains qui clament avec une belle constance qu’Airbus casse les prix grâce ŕ des subventions étatiques en sont pour leurs frais. On doit ajouter que le programme KC-X assure une seconde carričre au 767, appareil qui était en fin de course industrielle et va maintenant rebondir.
Au risque de nous répéter, il convient d’ajouter que le KC-X n’est en rien un Ťmarché du sičcleť susceptible de modifier de maničre significative le rapport de forces entre les deux grands avionneurs. Les médias se sont unanimement trompés sur de point, en oubliant que les KC-46A seront livrés ŕ l’armée de l’Air américaine ŕ un rythme moyen de 15 ŕ 17 exemplaires par an, pas męme 5% de la production annuelle de Boeing en matičre d’avions de transport.
Le KC-46A, dérivé militarisé du 767-400, pourrait par ailleurs donner naissance ŕ une version cargo purement civile, laquelle intéresserait déjŕ FedEx. On pourrait, dans ce cas, assister ŕ un nouveau duel Airbus-Boeing, un affrontement qui donnerait l’occasion ŕ EADS d’affirmer que l’avion américain proposé ŕ FedEx (et ŕ d’autres) bénéficierait d’une aide financičre indirecte du Pentagone. Un éternel recommencement ...
Pierre Sparaco - AeroMorning