Paul Valéry, Le bilan de l’intelligence, éd Allia (extraits) 1

Publié le 07 mars 2011 par Xavierlaine081

 

L'interruption, l'incohérence, la surprise sont des conditions ordianires de notre vie. Elles sont même devenues de véritables besoins chez beaucoup d'individus dont l'esprit de se nourrit plus, en quelque sorte, que de variations brusques et d'excitations toujours renouvelées. les mots “sensationnel”, “impressionnant”, qu'on emploie couramment aujourd'hui, sont de ces mots qui peignent une époque. Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l'ennui. Notre nature a horreur du vide, — ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, leurs Idées, au sens de Platon. Cet état que j'appelais “chaotique” est l'effet composé des oeuvres et du travail accumulé des hommes. Il amorce sans doute un certain avenir, mais un avenir qu'il nous est absolument impossible d'imaginer; et c'est là, entre les autres nouveautés, l'une des plus grandes. Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelques figures du futur auxquelles nous puissions attacher la moindre créance.

Conférence prononcée le 16 janvier 1935, à l'université des Annales.