Acte 1
Hier Monsieur Mohamed Ghanouchi a démissionné. Une heure plus tard, des milliers de personnes se sont rendus devant sa maison pour, soit refuser sa démission, soit lui rendre hommage. La plupart des participants sont des personnes adultes. Parmi eux, beaucoup de personnes âgées. Quelques enfants sont avec leurs parents. C’est dimanche. La manifestation est spontanée. Il n’y a pas de banderoles, à peine quelques papiers, quelques cartons sont agités. Il n’y a pas de slogans élaborés. Le quartier est entièrement quadrillés de soldats et de policiers.
Les personnes viennent de partout. Certains ont des bouquets de roses qui circulent à travers les mains tendues comme dans un passage de témoin jusqu’aux agents de la sécurité devant la maison. Du vert, du rouge, du blanc passent ensuite, par-dessus la clôture.
J’entends ici et là des voix : je viens de la Marsa, je viens du bardo, je viens de Lafayette, je viens du centre ville, je viens d’en Menzah1…
Tous parlent de Ghanouchi et de sa probité légendaire : Il racontent qu’il rend les bons d’essence qu’il n’a pas utilisés à chaque fin de mois, qu’Il n’a pas changé sa voiture de fonction depuis 10 ans quand d’autres la changent tous les quatre ans, que monsieur Ghanouchi a été utilisé par ZABA pour ses compétences et pour son image de marque, celle de l’intégrité.
La plupart sont en colère, certains sont tristes, d’autres craignent pour l’avenir du pays.
À Ghanouchi qui les remercie de son balcon et qui demande aux présents de se remettre au travail, le lendemain, pour sauver le pays, pour protéger les institutions et qui interpelle « Le monde nous regarde, nous avons une responsabilité historique, pour réussir notre révolution », les manifestants qui s’étaient assis un moment en hommage pour lui, s’élèvent et tous en chœur, scandent haut et fort : » non ! » « Nous vous avons obéi pendant plus d’un mois, voila le résultat » « nous voulons porter notre voix » « personne ne parlera plus à notre place » « nous ne voulons plus que des gamins de 14 ans nous représentent». « Nous ne voulons plus de la dictature de la rue » « nous aussi, nous sommes le peuple » « nous n’avons pas délégué notre voix à la kasba »
Des gens affluent. À perte de vue, la rue est noire de monde. Il fait nuit. La pluie se met de la partie.
Des voix s’élèvent de nouveau. Elles fustigent les médias, dont certaines sont déjà sur les lieux, Hannibal, Nessma, la nationale, djazira… « Dégage » crient-elles.
Une femme à coté, les larmes aux yeux, se dit de l’agence TAP. Elle parle. Elle dit son impuissance, son affliction pour ses collègues qui trahissent le métier. Elle dit que les médias détournent les informations. Elle témoigne du respect qu’ont les étrangers de passage en Tunisie, pour l’ex premier ministre, après leur rencontre avec lui.
Les manifestants de nouveau fustigent, cette fois c’est pour Abdesselem Jrad. Ils appellent à sa démission, à son procès. Jrad est traité de tous les noms. Jrad le traitre. Jrad le corrompu.
Acte 2
Je rentre à la maison, j’allume ma télé, impatiente d’entendre l’écho porté par nos médias. J’entends : 400 personnes manifestent devant la maison de Ghanouchi…
ils mentent. Ne me demandez pas pourquoi ils mentent. Ne me demandez pas pourquoi ils ne disent pas qu’ils y avaient des milliers de manifestants. Ne me demandez pas pourquoi il n’y avait pas assez d’images de cette large rue qui sur toute sa longueur et à perte de vue est investie par des hommes et par des femmes qui manifestent et qui soutiennent le gouvernement de transition. Je ne saurais pas répondre.
Pourtant, ces télés, c’est les mêmes qui portent la voix de la kasba et qui à longueur de journée, donnent à entendre l’autre voix des tunisiens. Une voix souvent jeune, qui parle au nom du peuple et que les médias laissent parler au nom du peuple, qui sur les podiums des télévisions, plutôt que d’entendre et d’apprendre de leurs ainés, conteste, les éminents professeurs qui leur font face.
Acte 3
Aujourd’hui, il y a une manifestation face à la coupole d’el Menzah. Cette fois la manifestation est organisée par la voie facebook. Des personnes à la sortie de leur travail, viennent manifester. Ils manifestent pour l’éviction de Jrad, pour protéger le pays en soutenant le gouvernement de transition et pour appeler au travail.
Ils disent qu’ils sont tunisiens et qu’ils veulent protéger l’avenir de leurs enfants. Ils scandent que tout autant que les tunisiens à la kasba, ils constituent eux aussi une partie du peuple. Ils insistent : « nous ne nous considérons pas, les seuls représentants du peuple ».
Ils sont là pour s’opposer à Jrad. Ils sont là pour appeler à résister aux mots d’ordre lancés par une faction du syndicat.
Un faction qui oublie son rôle, celui d’être un contre-pouvoir. Un rôle qui lui interdit de faire partie du gouvernement. Les manifestants crient que Jrad bloque le pays. Jrad avec ses incessants appels à la grève. Jrad qui utilisent le petit peuple. C’est ce que j’entends. Ils fustigent une certaine UGTT qui pendant des décennies a été le seul syndicat face à un seul parti, face à une seule presse. un syndicat complice de la dictature de ZABA.
Jrad ne veut pas lâcher prise. Les manifestants concluent qu’il a tout à perdre. Il risque des procès, tout autant que certains rcedistes. Le calme dans le pays le desservirait. il lui faut donc maintenir l’étau, maintenir l’instabilité. Jrad et compagnie s’approprient progressivement la rue. Ils usent d’un pouvoir hérité du temps de ZABA.
De notoriété devenue publique, ils crient qu’il est corrompu. Aujourd’hui il se présente comme le défenseur du peuple. Il investit les comités de protection de la révolution. Lui et ses acolytes veulent tous les pouvoirs, le législatifs, l’exécutif et le constitutionnel. Cela s’appelle de la dictature, disent certains manifestants.
les langues se délient, ils parlent des voyous qui saccagent le pays pour de l’argent. Qui a l’argent ? Qui a les moyens de la logistique sise à la kasba? à Sfax ? Qui a les moyens de louer ces centaines de voilures qui ont traversé et qui sillonnent encore le pays?
Aujourd’hui la rue appartient à ceux-la qui ne veulent pas d’un système qui pourrait les condamner sur leurs actions passés. Ceux qui hier, ont parlé le langage de la répression continuent à le faire aujourd’hui. Ghanouchi a dit qu’il n’était pas homme de répression. Voila comment les personnes qui m’entourent, parlent.
J’entends encore « je faisais partie de la « majorité silencieuse ». « Je faisais partie de ceux qui ont donné la priorité au travail , attendant la nouvelle constitution pour pouvoir élire librement » le résultat est là, se désolent-ils … mais c’est fini assurent-ils, on va bouger et on ne se laissera pas faire.
J’entends un homme crier au mégaphone : « rendez-vous tous les jours de 17h à 19 h face à la coupole. Samedi grande marche vers le siège de L’UGTT »