Il apparaît clairement que la notion de culture d’entreprise englobe, un certain nombre de faits, ayant trait essentiellement à des modes de comportement collectif, favorisant l’intégration des individus, par leur participation valorisante (créatrice de valeurs et fondée sur le respect des valeurs éthiques) à la vie de leur entreprise. Telle qu’elle est évoquée dans les différents discours ayant trait aux réformes que l’on voudrait apporter à la gestion des entreprises économiques des pays dits avancés, la culture d’entreprise est présentée comme étant « un ensemble de façons de penser et d’agir, de règles implicites ou explicites, système de cohésion ou de cohérence et capital immatériel de l’entreprise… ». « La culture c’es ce qui fait que chaque entreprise est unique »
Dans un article consacré à l’intelligence économique dans L’Universalis, Philippe Clerc[1] signale que « les entreprises qui savent mobiliser la dimension culturelle dans la compétition mondiale bénéficient d’un avantage concurrentiel déterminant ». Si l’on rappelle, par ailleurs, que cette technique de gestion est contemporaine des réalités économiques nouvelles, créées par la mondialisation et dont les moyens pour y faire face nécessitent le recours à un programme d’ajustement structurel, de mise à niveau et d’intégration à l’économie mondiale de marché, l’on peut deviner que l’importation de tous ces termes, dans le champ spécifique de l’Enseignement et de la Recherche, signifie qu’aux yeux de certains « spécialistes en économie », il existerait une sorte de similitude entre la rénovation universitaire et celle de notre économie.
Mais si par besoin de clarification de notre approche de la question, on a été amené à travailler dans la nuance, pour la présentation des différents types de Benchmarking, c’est surtout pour préciser que la logique d’amélioration de la performance qui préside au recours, par les entreprises, à l’évaluation comparative, situe le degré de fiabilité de cette méthode dans sa capacité à dépasser le recours à la comparaison fondée sur la similarité des situations et à considérer que « la culture, c’est ce qui fait que chaque entreprise est unique .»
C’est dire, par la même, que la supposition d’une possible similitude entre la rénovation universitaire et la rénovation économique n’est légitime que dans le cas d’une « démarche qualité », au niveau économique, qui tiendrait compte du caractère unique de la culture de chaque entreprise. Cette condition d’originalité culturelle de l’entreprise économique, nécessaire à la réussite de sa rénovation, correspondrait, au fait d’affirmer, au départ, d’une manière qui pourrait sembler non fondée, que notre système d’enseignement n’accèdera à sa performance qualitative que dans la mesure où il est original, c’est-à-dire d’origine.
Il va de soi qu’au cas où l’on ne tiendrait pas compte de ce caractère unique de la culture d’entreprise, en se référant uniquement aux deux types de Benchmarking fondés sur la comparaison entre entreprises similaires, l’importation dans le champ de l’Enseignement Supérieur, dont l’activité est fortement traversée de dimension symbolique, des notions de démarche qualité, de performance, d’ évaluation, interne et externe, serait l’équivalent de la création d’un obstacle épistémologique qui aurait pour conséquence de rendre opaque la réalité de notre système d’enseignement et nous condamnera à reconduire cette attitude mimétique qui fera que nous serons toujours en retard d’une réforme.
Pour les chercheurs habitués aux méandres du champ esthétique, la correspondance entre les différentes pratiques artistiques ne signifie nullement l’existence d’une quelconque similitude entre elles. La comparaison dont elles feraient l’objet se fait par leur juxtaposition, en vue de faire ressortir ce qui fait la spécificité irréductible de chacune d’elles en tant que mode de création, matériellement différent. Leur comparaison se fait dans la reconnaissance, par chacune d’elles, des originalités diverses de ses Autres.
Entre l’économie spécifique de l’enseignement, de la recherche et de la création en général, et cette même économie perçue comme étant similaire à l’activité économique, réduite à la production et l’échange des marchandises, il y a lieu d’observer une différence de qualité. Celle qui existe entre la formation d’un citoyen étudiant, en vue de l’amener à être productif et créateur et la fabrication d’un individu robotisé dont la programmation, prévisible, serait en adéquation, momentanée, avec les besoins de l’économie, limités à ceux que pourraient prévoir les indicateurs du marché de l’emploi
[1] Au moment où il avait rédigé son article, Philippe Clerc était rapporteur du groupe de travail intelligence économique et stratégie des entreprises au commissariat général du Plan, 1994. France).Source: Encyclopédie Universalis Version 10, numérique