L’Enseignement Supérieur à l’épreuve de l’Economie: 5. Quelle inadéquation ? Et quelles « filières courtes » ?

Publié le 05 mars 2011 par Naceur Ben Cheikh

L’absence d’une vision, véritablement claire de la situation, se laisse également observer dans cette succession de versions différentes de la solution qu’à partir des débuts des années 90  l’on se proposait d’apporter, au constat objectif d’inadéquation  structurelle, entre l’Université et le monde de l’Economie et partant entre les besoins de cette dernière et les programmes de formation de l’Enseignement Supérieur.

C’est, effectivement, depuis plus de quinze ans, que l’on avait commencé à poser le problème, mais dans des termes qui dénotaient d’une référence formelle, au système éducatif, d’outre Atlantique. Et ce, aussi bien au niveau de la réforme de l’Enseignement Secondaire, pour lequel on se proposait d’appliquer une approche par compétence, qu’ à celui de l’Enseignement  Supérieur, où l’on s’était rendu compte de la nécessité de la formation, par l’Université, d’autres profils de jeunes citoyens, capables d’initiatives.

En fait, même si cette référence implicite au « pragmatisme éducatif » pourrait revendiquer une certaine pertinence, cette dernière, pour devenir certaine, devrait être dégagée, au départ, de cette approche formaliste qui consiste à se référer au produit final, plutôt qu’au processus de production.  En l’absence d’une analyse véritablement économique de notre système éducatif, l’on s’est cantonné à prendre pour Modèle, un système qui fonctionne bien dans son pays d’origine, et dont a pu constater la qualité des produits : à savoir, des cadres compétents, capables d’initiative. L’approche compétence, perçue, seulement  à travers ses résultats, a été, en conséquence, transformée en approche par compétences et de mode spécifique d’éducation et de formation, elle allait signifier des contenus d’enseignements,  plus proche de la pratique, que l’on allait donner aux intitulés des matières, déjà existantes.

Cela n’était pas assez pour constituer une réforme, mais le besoin de cette dernière, devenu nécessité, a fini par se traduire sous la forme d’une décision politique à caractère structurel, à savoir, l’adjonction  de l’activité de  Formation Professionnelle, au Département de l’Education. L’on ne peut donc que souhaiter que, dans ce cas, l’organe finisse par créer sa fonction et que l’intégration de la formation professionnelle, au sein des programmes de l’Enseignement secondaire, serait le point de  départ  d’une réforme, fondée sur une approche compétence qui serait, cette fois-ci, d’origine.

Quant à l’idée de formation d’étudiants capables d’initiative, au sein de nos institutions universitaires, qui aurait pu aboutir à une réflexion approfondie sur la nécessité d’une réforme en profondeur de notre système, le formalisme de leur vision a fait que ceux qui en parlaient, le faisaient du point de vue de la création d’emplois. En toute bonne logique l’on avait, alors, commencé à parler de formation de créateurs d’emplois. Ces derniers seraient capables de créer des postes d’emploi et d’y employer ceux, parmi les jeunes sans emploi, qui n’ont pu être intégrés au système de production.

Mais l’on sait que cette orientation vers la formation de jeunes ayant l’esprit d’entreprise, n’a pu être traduite dans les faits que par l’introduction de quelques  cours d’économie et de gestion, dispensés à des étudiants, d’institutions autres, que celles spécialisées dans l’enseignement de ces deux disciplines. Cela, en plus des solutions à caractère structurel et non de formation, qui ont trait, à ma connaissance, à la création de pépinières d’entreprises et de centres de soutien (information et apport logistique), aux jeunes diplômés en économie et gestion ou  en agronomie. Quelques années plus tard, on en était encore à recourir à des palliatifs, destinés à  nous faire l’économie d’une réforme conséquente de notre système universitaire.

Parmi ces solutions  improvisées, l’idée de création de filières courtes de formation, dans des spécialités considérées comme étant plus à même de correspondre aux besoins potentiels du marché de l’emploi. D’autant plus que l’on  commençait à se rendre compte que l’inadéquation entre la formation et l’emploi touchait autant les formations littéraires, que celles techniques, scientifiques et même de gestion. Il suffisait, pour s’en rendre compte, de consulter, les listes d’étudiants qui ont eu à bénéficier des compléments de formation 21.21.

A propos de ces  filières courtes, il s’agissait, ou bien de l’ouverture de filières nouvelles dans des institutions anciennes ou bien de la création d’institutions nouvelles, consacrées à des formations dans des spécialités  nouvelles.

Issus d’une vision peu conforme à la réalité de l’emploi, parce que ne réfléchissant pas ce dernier en termes de travail et de fonction, ces choix consistaient, parfois, à former des étudiants, durant deux ou trois ans  pour une fonction qui n’est plus la même. Les exemples les plus pertinents à ce sujet, sont ceux qui ont pour origine une mauvaise évaluation des effets de l’avènement des outils informatiques dans les domaines de l’architecture et du design avec toutes ses disciplines. Un architecte, n’est plus, aujourd’hui, ce concepteur dessinateur manuel qui se fait assister par des dessinateurs « gratteurs ». L’apport des nouvelles technologies informatiques a transformé qualitativement son travail de création et n’a pas, seulement, touché le travail d’exécution technique du dessinateur qui l’assiste.

Considérer  que ce qui est nouveau réside dans le fait que l’on peut  faire « gratter »  ses plans et dessins par un  technicien assisté par ordinateur, signifie que l’on avait pris pour repère des cas isolés d’architectes qui ne sont plus de leur époque, pour décider de la création d’un profil de formation (TAO) qui n’existe pratiquement plus.

En limitant l’apport des nouvelles technologies à celui d’outil d’assistance technique à la création, des décideurs ont été amenés, à mettre en place un programme d’enseignement destiné à  former des assistants d’Architectes et de Designer espace, qui travailleront avec des patrons que l’utilisation des moyens informatiques a, déjà, transformés, en créateurs assistés par ordinateur.

A moins d’être à la tête d’une grande agence, l’informatisation, par un architecte ou un architecte d’intérieur, de son  bureau  ou même de son cabinet, peut avoir, pour conséquence, la suppression de la charge du traditionnel dessinateur « gratteur ». Par contre, au cas où l’on voudrait être optimiste quant à l’avenir du métier d’architecte en Tunisie, l’on pourrait effectivement prévoir que les architectes s’organisent en agences de taille significative, au sein desquelles, la maîtrise des logiciels, souvent utilisés dans ce domaine (Autocad, Archicad, 3D Studio Max et autres) pourrait correspondre à un emploi-fonction nécessaire, dont on ne peut se passer, pour assurer le  bon fonctionnement  de ces agences.

L’on prendra, alors, en considération, l’apport des nouvelles technologies, entre autres celles qui se rapportent aux moyens de communication Internet, pour réfléchir aux possibilités de participation à l’activité mondiale de service, dans des secteurs où l’intervention de nos intelligences serait productrice d’une meilleure et plus grande plus-value, bien au-delà de l’apport, non négligeable, de la création de centres d’appel, en cours de développement