Il semble donc que nous soyons en présence du même phénomène de réduction qui rend incompréhensible les fonctionnements spécifiques et de l’économie et de la culture, dans les rapports nouveaux que le monde actuel semble tisser entre ces deux types d’activité humaine, réputées distinctes et à finalités différentes, mais complémentaires tout de même ; si l’on considère qu’elles l’ont été, jusqu’ici, par la croyance au « coup de force thomiste » et sa « panacée contradictoire, dans ses déclinaisons les moins attendues. Telles ces assemblages hétéroclites entre Progrès scientifique et Spiritualité Religieuse ou bien cette juxtaposition de la Culture et de l’Economie, que l’on peut observer à l’œuvre, dans nos cursus de formation, qui continuent à ignorer l’urgence de les féconder l’une par l’autre.
Perçue comme simple juxtaposition de deux activités dont les finalités sont réputées contradictoires, l’adjonction de la Culture à l’Economie et celle de l’Economie à la Culture, ne peuvent constituer des réponses, conséquentes, aux exigences objectives de situations concrètes, d’entreprises qui auraient besoin d’être gérées « culturellement » et non pas de continuer à se référer au langage réducteur de la compétitivité et d’une production culturelle et artistique dont la vision du monde qui la sous-tend est pour le moins anhistorique et déréalisante. Pour certains industriels et hommes d’affaires qui s’estiment éclairés, le rapport à la culture consiste à s’adonner, en parallèle à son activité propre, au sponsoring d’une production artistique, qui ne cherche, quant à elle, qu’à se laisser réifier et transformer en simple produit de consommation de luxe. L’observation du champ des Arts Plastiques que j’ai pu, personnellement mener durant plus de quarante ans, m’autorise à affirmer qu’ici, plus qu’ailleurs, nos artistes souffrent d’un manque de culture économique et sociale qui condamne leur vision du monde et les œuvres qui en découlent, à un formalisme stérile, sans attaches profondes avec leur conditions de vie individuelle et collective
Il se peut que les problèmes qui se posent à nos entreprises économiques, à nos producteurs culturels et à notre système d’enseignement, ne puissent être perçus à leur juste mesure, qu’à partir d’une approche globale, pluridisciplinaire et que la véritable réforme, des différentes filières de notre Enseignement Supérieur, passerait, d’abord, par une redéfinition de leurs programmes, en fonction de nouveaux objectifs dont la validité ne serait pas liée seulement à leur adéquation au marché de l’emploi, mais plutôt à la nécessité de faire accéder ces formations à leur performance qualité.
L’on est donc amené à se poser la question relative à la définition de ces « nouveaux objectifs » et celle en rapport avec les moyens de les réaliser.
Précisons d’abord que ni l’obligation, de fait, d’homologuer nos diplômes avec ceux de nos voisins européens, ni la nécessité objective d’être en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi ne peuvent être pris pour objectifs. Car, il ne s’agit pas ici de la reconduction d’un processus de penser dans lequel il y aurait une distinction entre fins et moyens, à partir de quoi, l’on se retrouverait conduits à soumettre nos moyens à la production de fins qui ne seraient pas leurs fins propres. Il existe une différence entre le fait de considérer le résultat d’une activité quelconque, comme étant la réalisation d’un objectif et celui où cet objectif serait la conséquence même du fonctionnement adéquat et cohérent des moyens propres dont on dispose.
L’on comprend alors, que le véritable défi qui se pose à nous réside dans notre capacité à évaluer nos moyens, non pas pour les « juger », mais pour en connaître les limites ; sans reconnaître ces dernières comme étant indépassables et surtout en comprenant et en découvrant les modes de fonctionnement les plus adéquats pour optimiser le rendement de ces moyens.
Il s’agit donc d’une évaluation qui serait proche de celle qui résulte de l’approche poïétique et qui consiste à rendre compte du processus de production de l’œuvre entrain de se faire, au cas où l’on prendrait les Sciences de l’Art pour référence. Mais l’on peut également effectuer cette évaluation en optant pour une approche économique pour l’effectuation de laquelle, il faudra trouver les indicateurs et les paramètres spécifiques qui nous permettront d’évaluer aussi bien la qualité de l’effort que celle des résultats et de voir de quelle manière l’amélioration de la qualité de l’effort serait liée à une meilleure cohérence interne du système, en rapport elle-même à une meilleure cohésion entre les différentes actions de ses intervenants.
La première tâche consisterait, peut-être, à préciser la qualité et le rôle spécifique, mais nécessairement solidaire, de chacun des intervenants et ce, bien au-delà de la séparation de fonction qui existe entre eux, dans le système actuel. Telle celle que l’on établit entre des organes d’administration et de gestion, d’un côté, et de production formation, de l’autre. Une séparation à caractère structurel entre les intervenants au niveau des tâches de gestion administrative et financière et ceux chargés de l’enseignement et de la recherche, c’est-à-dire de la production proprement dite, est de nature à ne favoriser ni la cohérence du système ni la cohésion souhaitée entre ses différents acteurs.
Au niveau du besoin de cohérence et de cohésion, il en est de l’activité de production de savoir et de formation comme de l’activité économique proprement dite. Dans ces deux secteurs d’activité, on ne peut prétendre à une amélioration du rendement du système, sans une conséquente réforme de son mode de gestion administrative et financière.
L’on sait que, depuis près de vingt ans, l’amélioration du taux de croissance, que connaît notre économie, est, aussi, redevable à l’activité de réforme administrative continue, instaurée, depuis la fin des années 80.
Quant à la réforme « administrative » dont l’enseignement supérieur aurait besoin, elle devrait avoir pour objectif l’amélioration du rendement de l’enseignement et non pas se limiter seulement à reproduire, au niveau des régions, la même logique de gestion et de contrôle qui prévalait, au niveau de l’Administration centrale, avant le transfert de quelques unes de ses attributions aux Universités. L’autonomisation, dont ces dernières doivent être dotées, si elle n’est pas accompagnée, également, de celle des institutions qui en dépendent, pourrait aboutir aux mêmes situations de blocage.
Rapprocher l’administration du citoyen est une bonne initiative quant il s’agit d’activité publique de prestation de service. Mais cela ne suffit pas, lorsqu’il s’agit d’activité de contrôle, de gestion et de production qui implique l’évaluation continuelle des moyens et fins, d’une activité de formation de compétences. En toute logique, et disons même, « en toute utopie », cela nécessite une gestion administrative solidaire, qui ne peut se limiter à l’application stricte d’une quelconque réglementation, sans transformer son devoir de contrôle nécessaire, en alibi pour l’exercice d’un pouvoir d’obstruction contreproductif.