Je ne comptais pas intervenir dans un débat qui, dès le départ, me semblait faux, croyant que le sens de la responsabilité de mes jeunes collègues finira par l’emporter. Mais ce qui se passe aujourd’hui à l’Ecole Supérieure des Sciences et Technologies du Design ne peut me laisser indifférent. Je ne dis pas qu’il m’inquiète ni qu’il a atteint des proportions graves au point où il serait devenu urgent de tirer la sonnette d’alarme. Surtout, face aux agissements de certains dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont, peut-être, animés par la peur de ce qui pourrait leur arriver, dans un avenir qui leur semble incertain. Un avenir où il serait difficile, après la révolution, de continuer, comme avant, cette improvisation continuelle qui consistait, pour des raisons politiques, à miser sur la quantité, aux détriments de la qualité dont notre enseignement supérieur est aujourd’hui, plus que jamais, redevable.
Pour ma part, je n’ai pas attendu la révolution pour prendre mes responsabilités. Dans un rapport officiel que j’avais rédigé, en tant que Président de la Commission Nationale Sectorielle pour l’instauration du Régime LMD et également en tant que membre du Comité National de supervision du PAQ, à l’intention du Ministre, et que j’avais inclus, par la suite dans un livre, paru en 2009, dont de larges extraits sont publiés sur ce blog et sur mon profil Facebook, j’avais émis les critiques fondamentales que je me devais de faire à l’égard de notre Enseignement Supérieur. Je me trouve, aujourd’hui d’autant plus à l’aise, que les positions que j’avais prises, il y a plus de quatre ans, peuvent encore servir de départ pour une approche « utopique » que seule la révolution permettra d’en engager le débat responsable que nous sommes tous en droit d’attendre du gouvernement qui sera démocratiquement élu, dans quelques mois.
Mon souhait le plus « utopiquement révolutionnaire » c’est que mes étudiants commencent par me lire avant de dire « dégages! » à leurs professeurs. Parce que je pense que des étudiants en Art du Design sont plus démocrates que certains de nos avocats qui ont fini par se faire dégager entre eux du Palais de Justice..
Comme je l’avais précisé, dans un article en Arabe, publié, hier, dans le journal Eshourouq, le risque suprême que notre révolution peut encourir c’est de se voir confisquée par la « médiocratie » des opportunistes de tous poils qui sont entrain de profiter du vide politique pour s’adonner à qui mieux mieux à des actions irresponsables qui portent atteinte à l’autorité de l’État. Et ce, bien au-delà des principes d’équité et de justice dont le respect devrait nous empêcher de vouloir prendre, par l’intimidation démagogique effrontée, ce que nous ne pouvons avoir que par le mérite. Parce que cela aussi est indigne, dans une Tunisie dont une jeunesse créative et superbement optimiste vient de rappeler à la conscience des peuples arabes et même du monde que la dignité passe avant le pain. العيش الكريم اهم من لقمة العيش. Tout cela en plus du fait, comme le dit Hegel, qu’ »il n’y a de liberté que dans l’Etat », quoiqu’en disent les anarchistes.
Je viens de parler d’étudiants, mais, en fait, il est surtout question de jeunes collègues dont certains sont directeurs d’institutions d’Enseignement Supérieurs et qui se sont permis de s’improviser « juristes » et de décider que des doctorats soutenues publiquement et sur décision du Président de l’Université, n’étaient pas « légaux », parce que à leurs yeux de « révolutionnaires patentés », les membres des jurys devant lesquels, ces doctorats ont été soutenus publiquement, ne sont pas « probes » et sont « incompétents ». Ces « Calomnieurs » dangereux appartiennent tous au corps B, dont quelques uns se sont fait remarquer par des attitudes notoirement récalcitrantes face à leurs obligations d’achever leur recherches en thèses qui trainent depuis près de dix ans pour certains. Cela est possible. Il suffit de changer de sujet et d’encadreur une fois tous les cinq ans et le tour est joué, pour crier par la suite à l’injustice et de profiter de la révolution pour procéder à des revendications en série, tout en semant le doute quant à la valeur de tous ceux parmi les Professeurs du Corps A, qui se refuseraient à se plier à leur pratiques éhontées d’intimidation, qui touchent à l’honorabilité même de la profession d’Enseignant universitaire, tous grades et collèges confondus.
Ce manque radical du sens de la responsabilité, peut devenir pour le moins grave lorsque la directrice d’une institution universitaire, Maitre-assistant de son grade se met en tête de refuser à délivrer à des collègues qui ont été déclarés docteurs, leur diplôme de Doctorat, en mettant en doute la légalité même de l’habilitation de l’Institution dont elle a la charge, à délivrer ce genre de diplôme. En plus du préjudice qu’elle est entrain de porter à une Institution dont elle est aujourd’hui la directrice, il y a lieu de réfléchir aux conséquences de ce refus et ses répercussions sur la carrière de collègues nouveaux docteurs qui se retrouvent pénalisés parce que tout simplement ils ont fourni l’effort de réussir.
Naceur Ben Cheikh, Professeur émérite à l’ESSTD (Université de Manouba), Ancien Directeur fondateur de l’ISBAS (Sfax) et Ancien Directeur de l’ISBAT (Tunis)