Il est temps pour nous, maintenant que nous retrouvons enfin et ensemble, un moment de possible sérénité, de nous pencher sur notre fameux « Dégage ».
Terme français s’il en faut, qui (malgré notre politique d’arabisation mais là, est un autre propos) a incarné et porté très haut, notre révolution dès ses tous débuts. Terme qui a persisté et qui s’est redonné, malgré une conjoncture sociale, politique et économique tous les jours différente, sous une forme voulue identique.
Ainsi, notre espace révolutionnaire qui s’est donné à voir de jour en jour, si différent, se traduit et se propose encore à travers, ce même terme, si porteur au début…
Le « Dégage » nous l’avons très vite, vu apparaitre, très vite « re-connu » dans les manifestations et nous nous en étions réjouis. Car qu’est ce fameux « dégage » si ce n’est, « débarrasse le plancher » « quitte » ! Image , d’une nation obstruée, saturée, que l’oppresseur doit évacuer!
La Rue, c’est ainsi qu’elle s’est exprimée, par un mot si simple mais si décisif, forte de son droit, dans un temps singulier, unique qui aura été de l’ordre de l’ « hors temps ». Aucune pensée « raisonnable », aucune force n’aurait pu le prévoir, n’aurait pu l’arrêter;
il s’agissait du destin d’un peuple. Il s’agissait de sa force vive qui se soulève et qui arrache sa voie.
Il y a un temps dans l’Histoire ou des hommes sentent confusément, obscurément que quelque chose de nouveau est là, que quelque chose va arriver et c’est seulement à ce moment là, que d’une même voix ils peuvent crier « dégages ».
« Dégage » pour laisser place à cet autre, à cet imminent, pour lequel des hommes sont prêt à verser leur sang.
Temps différent que ne légitime que ce droit supérieur et sacré, celui de la dignité.
Or ce « dégage » que notre peuple a enfanté dans la beauté et dans la douleur, est en passe aujourd’hui, d’être gravement travesti, tristement profané !
Le « dégage » d’aujourd’hui est celui que je crains.. il est celui qui couvre et nuit gravement à la voix de la législation. il est celui qui, dans nos tribunaux donne à penser qu’une limite est possible dans l’exercice du droit et de la justice et à « certains » le lieu de répondre au non-droit par un autre non-droit.
il est celui qui donne à chacun, les moyens de contourner la loi, dans des institutions publiques ou privées, dans des lycées ou dans des universités …
il est celui que je condamne car il donne à penser que des hommes peuvent se passer de toute légalité…
Tristement commun, équivalent d’un slogan, nous le voyons, devenir un outil et un soutien à tous ceux, qui ne veulent ou qui ne peuvent recourir aux règles élémentaires relatives à toute citoyenneté responsable. Citoyenneté qui ne peut s’exercer que dans un cadre institutionnel car « Le citoyen est un être éminemment politique (la cité) qui exprime non pas son intérêt individuel mais l’intérêt général. Cet intérêt général ne se résume pas à la somme des volontés particulières mais la dépasse. » (Jean Jacques Rousseau).
De pouvoir dire « dégage » par tout un chacun, pour un tout ou pour un rien, ne relève pas de la liberté d’expression car l’exercice de la liberté qui ne peut être que responsable, ne signifie pas seulement et à mon sens, que la liberté s’arrête là ou commence celle de l’autre, tel que souvent divulguée.
la liberté est celle qui exige pour être, l’exercice de la liberté par l’autre. car l’autre ne doit pas être donné comme mon possible ennemi, celui à cause duquel, mon espace de liberté pourrait être restreint. L’autre, mon autre, c’est mon partenaire, mon concitoyen, mon différent et mon pareil. Il n’y a que dans ce cadre, qu’un vivre ensemble devient possible, qu’une démocratie peut enfin voir le jour…
Aujourd’hui, plutôt que « dégage » avançons et exigeons « des gages » à tous ceux-la qui auront pour mission de protéger les acquis du passé et ils sont assez nombreux nos acquis, ne les dénigrons pas, moi qui suis femme, je sais de quoi je parle. Exigeons donc et pour cela, une charte qui intègre et qui protège nos règles et nos principes fondamentaux d’un éventuel dérapage, et réclamons de nos hommes et de nos femmes, épris de liberté et de justice, dans un cadre serein garanti par le respect des institutions et du droit, qu’ils veillent aux acquis de notre précieuse révolution.
Mestiri Saloua