Après le chaos des premiers jours de la révolution libyenne, nous assistons désormais à une sorte de solidification de la crise libyenne. En effet, la sidération initiale n'a pas été mise à profit par la rébellion pour mettre à bas le régime qui, du coup, à réussi à se ressaisir.
Parmi les scénarios que j'avais envisagés il y a quinze jours, nous nous dirigeons donc désormais vers une guerre civile. Qui nécessite quelques aperçus sur cette guerre contemporaine, qui n'est pas asymétrique mais, déjà, apporte quelques enseignements.
1/ Tout d'abord, quelques considérations "géo-stratégiques". On observe en effet une double partition du pays :
- d'une part entre les trois régions originelles (Cyrénaïque, Tripolitaine, Fezzan qui ont été réunies par l'occupant italien au début du 20° siècle) avec, pour schématiser, la première qui est révoltée, la deuxième sous contrôle de Kadhafi, le dernier qui observe.
- d'autre part, des micros partitions, notamment sur les villes côtières du centre et de l'ouest, les centres-villes paraissant insurgés quand les pourtours, avec notamment les voies de communication et de contournement, qui seraient sous contrôle des forces kadhafiennes.
En conclusion (partielle, bien sûr) les fronts ne sont pas encore totalement formés.
2/ On observe par ailleurs un curieux phénomène d'agrégation militaire : en effet, il s'avère que l'armée kadhafienne était mal équipée, malgré quelques achats d'armements qui visiblement n'ont pas été entretenus. Il en ressort cette relative homogénéité des forces, qui sont en train de s'organiser de part et d'autre.
- du côté des insurgés, aux sabres du début ont succédé quelques armes légères, puis des armes lourdes. Surtout, quelques officiers "de profession" ont rejoint la rébellion et organisent, tant bien que mal, les forces.
- la réorganisation a lieu également du côté de Kadhafi qui a repris le contrôle de ses gardes prétoriennes et, probablement, de quelques unités de l'armée régulière, et qui désormais entend reprendre l'initiative, notamment au voisinage de Syrte, cœur de la tribu des Kadhafa : il s'agit, visiblement, de pousser le plus loin vers la Cyrénaïque.
3/ Nul doute que les deux parties vont développer leur réseau pour améliorer la qualité en armement et en expertise humaine :
- tout d'abord par des filières d'approvisionnement d'armes, a priori plus faciles à Benghazi qu'à Tripoli, même si cela prendra du temps
- ensuite par des filières de renforcement humain, soit par des sortes de volontaires "arabes" du côté de Benghazi, soit par des miliciens (Nigériens, Tchadiens, Maliens ou Ukrainiens, Biélorusses, Kazakhs) du côté de Kadhafi. Ici, le soutien égyptien sera essentiel. De même, il faudra observer avec attention les réactions de la ligue arabe, de l'OCI ou de l'UA.
4/ Ceci nous amène à la dimension internationale. le soutien aérien (la no fly zone) entraîne de nombreuses difficultés, comme l'ont expliqué les médias :
- juridiques, puisqu'il faut, outre la légitimité de l'ONU, pas acquise, une organisation chapeau (OTAN, UE, Ligue arabe, ...) : pas évident
- technique, puisqu'il faut des moyens pour faire respecter cette no fly zone, et qu'à part les Occidentaux, on voit mal qui pourrait le faire.
- opérationnels, car ces moyens signifieraient de les divertir des opérations actuellement menées en Irak ou en Afghanistan....
- opérationnels encore, car une no fly zone impose tout d'abord une SEAD (suppression des DCA), donc une attaque au sol et pas seulement une interdiction aérienne : or, des attaques au sol sont délicates, et risquées, sans même compter le retentissement politique de la chose (les Américains se souviennent de l'échec de la campagne aérienne au Kossovo)
- politiques, car cela fournirait un argument en béton à Kadhafi pour expliquer qu'il défend la patrie outragée et agressée par les forces occidentales, etc...
Autant dire que la chose n'est pas décidée, et que Kadhafi a un peu de temps devant lui pour espérer retourner la situation.
Ainsi, une guerre civile paraît désormais s'enclencher, ce qui fait du cas Libyen une espèce différente de ce qu'on a vu en Tunisie ou en Égypte, où les transitions de régime ont été finalement plus pacifiques. Vous remarquerez comme moi qu'il semble que les mouvements de protestation du monde arabe semblent en ce moment s'amenuiser, et ne demeurent vifs qu'au Yémen et à Bahreïn.
Mais s'agissant du cas Lybien, cette confirmation de la guerre laisse la place à beaucoup d'incertitude : on ne peut dire, aujourd'hui, qui sera le vainqueur final. L'augure le plus probable consiste toutefois en une partition du pays, plus que l'effondrement à la somalienne agité par le clan Kadhafi.
O. Kempf