Traduction de Kaoru Sekizumi & Frédéric Boilet.
Adaptation graphique de Frédéric Boilet.
Qui n'a pas rêvé un jour de revenir dans le passé afin de changer le cours des évènements : éviter une erreur de jeunesse, prendre la bonne décision, empêcher que ne survienne un malheur ? « Ah...Si j'avais su... » se dit-on tout en sachant qu'il est impossible de revenir en arrière et que la somme de nos actes passés conditionnent irrémédiablent notre présent et notre avenir.Ce rêve impossible va pourtant devenir réalité et bouleverser la vie jusqu'ici bien tranquille d'un quadragénaire japonais : Hiroshi Nakahara.Au retour d'un déplacement professionnel à Kyôto, au lendemain d'une réunion qui s'est conclue par une soirée fortement arrosée, Hiroshi Nakahara se trompe de train. Au lieu de prendre celui qui se dirige vers son domicile à Tokyo, le voici parti en direction de Kurayoshi, la ville où il a passé son enfance. Mettant cette erreur sur le compte de sa gueule-de-bois, Hiroshi Nakahara se résigne à ce contretemps. Il sera bien temps, une fois arrivé à Kurayoshi, de reprendre un train pour Tokyo.Une fois arrivé en gare de Kurayoshi, Hiroshi constate que le prochain train ne partira que deux heures plus tard. Deux heures d'attente. Deux heures à tuer. Que faire? Lui vient alors l'idée d'aller se promener dans cette ville qui l'a vu grandir. Immanquablement, le voici parti sur les lieux de son enfance. Il retrouve son ancien quartier et la maison de ses parents. Tout a tellement changé.Puis ses pas le portent vers le temple Guzen, là où repose sa mère, morte vingt-trois ans plus tôt.C'est en se recueillant devant la sépulture qu'il est pris d'un étourdissement – un malaise peut-être dû aux excès de boisson de la soirée précédente – et perd connaissance.Quand il reprend ses esprits, c'est pour constater que beaucoup de choses ont changé, le cimetière dans lequel il se trouve n'est plus tout à fait pareil, et même l'air semble avoir une odeur différente.Mais c'est une autre surprise – et celle-ci est de taille – qui l'attend. Quand il pose un regard sur ses mains, il s'aperçoit que ce ne sont plus des mains d'homme mais des mains d'enfant. Quant à ses vêtements, ce n'est plus le costume-cravate qu'il portait en arrivant mais un costume d'écolier.
Quand, sorti du cimetière, il se retrouve en ville, il constate que celle-ci aussi a changé d'apparence : les boutiques, les gens, les automobiles semblent être retournés à l'état où ils étaient dans son enfance pendant les années 1960. Surprenant son reflet dans la glace d'une vitrine, Hiroshi retrouve son visage, qui n'est plus celui d'un quadragénaire, mais bel et bien celui qu'il avait lors de son adolescence. Que s'est-il passé ? Est-ce un mauvais rêve ou faut-il croire à l'impensable : Hiroshi serait-il revenu dans son passé ?Si c'est un rêve, celui-ci est cependant d'une véracité troublante. De retour à la maison familiale, il retrouve ses parents, sa petite sœur et sa grand'mère qui l'accueillent comme s'il s'était absenté depuis quelques heures. Même s'il ne comprend pas comment il est arrivé là, Hiroshi est bien obligé d'admettre l'incroyable : le voici revenu à l'époque de son enfance, en 1963.
S'il est redevenu l'enfant qu'il était 35 ans plus tôt, Hiroshi n'en a pas moins gardé son expérience d'homme mûr et s'aperçoit que nombre de ses souvenirs appartiennent encore au futur. Le voici donc dans la peau d'un enfant de quatorze ans doté du singulier pouvoir de connaître l'avenir.
Alors va se poser pour Hiroshi une question essentielle: s'il connaît l'avenir, peut-il en dévier le sens à son avantage et ainsi changer le cours des évènements futurs ? Peut-il, par ses actions, modifier le cours de son existence et de celle des siens ? Il va ainsi tenter l'expérience en essayant de comprendre les raisons qui ont poussé son père à disparaître un soir, abandonnant sa famille pour quelque raison restée inexpliquée. Sachant que sa mère ne se remettra jamais de cette disparition, Hiroshi va tout tenter pour empêcher l'inéluctable départ de son père et essayer de comprendre pourquoi ce père de famille apparemment sans histoires va décider un jour de disparaître.Avec « Quartier lointain » Jirô Taniguchi, l'un des plus célèbres auteurs de mangas connus en Occident, nous offre une histoire sensible et nostalgique, un récit poétique tout en finesse qui se lit comme un roman et dont le propos ne peut que toucher profondément le lecteur qui, une fois le livre refermé, se demandera lui aussi ce qu'il ferait s'il lui était donné d'avoir une seconde chance, celle de retourner dans le passé pour tenter de modifier le cours des choses afin d'éviter un événement douloureux ou de saisir une occasion manquée. C'est peut-être l'universalité de son propos qui fait de « Quartier lointain » un petit chef-d-œuvre de narration qui à aucun moment ne sombre dans la puérilité, le sensationnalisme ou le fantastique bas de gamme. Tous les thèmes abordés au cours de ce long récit qui s'étire sur plus de 400 pages, sont amenés avec finesse et retenue, tout ceci sans aucun faux pas, sans aucune faute de goût et avec beaucoup de pudeur. C'est aussi le cas dans la très belle adaptation cinématographique qu'en a tirée Sam Garbarski en 2010, qui a transposé l'action en France tout en respectant scrupuleusement l'esprit du récit afin d'en conserver toute l'émotion. La bande-annonce est à voir ici.