Cela fait un petit bout de temps quecet articleme trotte dans la tête. Et c'est la même chose à chaque fois que quelque chose m'énerve, je me demande ce qu'il faut que j'en fasse. Parler ? Pas en parler ? Selon l'idée somme toute assez niaise (j'en conviens) qu'il y a tellement de choses négatives en ce monde, et finalement pas trop de place, pour préférer la transmission debonnes ondesau pur étalage de scrogneugneu (j'avais prévenu sur la niaiserie).
Mais quand même (voilà c'est l'argument).
En fait, disons-le tout de suite, je n'ai aucun avis sur l'histoire de Servier et du Médiator, parce que globalement je m'en fous. Et comme je m'en fous, je n'ai pas, comme on dit, étudié le dossier. Et comme je n'ai pas étudié le dossier, je n'ai rien à en dire - selon l'autre grand leitmotiv de ma petite vie « quand tu ne sais pas, mieux vaut la fermer, ta gueule » (Wittgenstein, à peu-près).
Non, ce qui m'intéresse (et m'énerve, je le répète), c'est leportraitfait dans cet article d'une femme scientifique. Ah pardon, je m'égare je m'embrouille. D'une femme de formation scientifique, portée sur la vulgarisation et (affreux, horrible), responsable de la communication d'un laboratoire pharmaceutique.
Voici donc les faits : Lucy Vincent, née Kukstas, 53 ans, docteur en physiologie animale (son doctorat, obtenu en 1991, portait surl'hétérogénéité de la cellule lactotrope de rat au cours de différentes situations physiologiques et le rôle des stéroïdes sexuels), auteur de4 essais publiés chez Odile Jacobsur « la science » du sentiment amoureux, et actuellement directrice générale des Laboratoires Servier, en charge des relations extérieures.
Pour Rue89, il n'y avait donc pas de meilleureaccrochepour parler de cette femme que d'aller voir ce qu'en disait son ex-mari, sur une bonne moitié de l'article (au début, et à la fin, faut ce qui faut). C'est vrai que Lucy Vincent a l'outrecuidance de parler d'amour en termes biologiques et statistiques, mieux vaut la mettre tout de suite le nez dans son caca : ah ah, comme tout le monde, elle s'était entichée d'un homme plus vieux et plus diplômé qu'elle et, ah ah (la coooooooooooonne), elle n'a même pas réussi à le garder ! Bien fait, elle n'avait pas qu'à travailler pour le cacapitalisme « très vendeur» des médicaments sarkozizistes tueurs de diabétiques obèses.
Ensuite, nous remarquerons les petites remarques à peine méprisantes, du genre : «timide au départ», elle « ne s'est pas laissée impressionner par ces grands professeurs, tous au Collège de France aujourd'hui» (...) [b]ien sûr elle n'avait pas leurs connaissances et leur rigueur, ils 'se moquaient' parfois d'elle, mais elle savait ne pas les écouter».
Bien sûrun doctorat en physiologie animale, ce ne sont pas suffisamment deconnaissanceset derigueur- je vous rappelle qu'elle s'est ensuite mariée avec son directeur de thèse, qui, c'est dans l'article, AVOUE AVOIR EU ENVIE DE LA LUI COLLER dès qu'il l'a vue pénétrer (oh oh) son laboratoire. Il n'était donc pas DU TOUT objectif pour juger de sesconnaissanceset de sarigueur, tout ce beau diplôme c'est de la merde, d'ailleurs, la cellule lactotrope du rat, tout le monde s'en branle... la preuve, CQFD, merci beaucoup Rue89 pour ces grands moments d'analyse du temps présent qui resteront sans aucun doute dans l'histoire.
Autre élément intéressant de ce portrait de Lucy Vincent, le dénigrement même pas déguisé de son travail. Argument : «Ses thèses ont surpris dans le milieu scientifique.» Qui ? Comment ? On ne le saura pas, Sophie Verney-Caillat préfère filer sa métaphore de l'amour et de la séduction (pour coller à son sujet, tu vois, concept coco) et nous dire que Lucy Vincent n'est qu'une sale petite attention whore assoiffée de projecteurs. On ne saura pas d'ailleurs pourquoi la « surprise » en science est une valeur négative, moi qui pensais que l'innovation et l'originalité (génératrices toutes deux de surprise) étaient souvent liées à la qualité scientifique, j'ai dû, là encore, mélanger mes pinceaux. Il faut dire que mesconnaissances, et marigueurne sont pas vraiment des plus parfaites. Qu'on me pardonne. Mea culpa. Je me fouette.
L'article ne se demandera pas, non plus, si, par hasard, ce ne serait pas les projecteurs, en premier lieu, qui sont assoiffés de thèses comme celles que présente Lucy Vincent dans ses livres (par exemple, parce qu'elles s'intègreraient parfaitement et sans y penser à des super dossiers « insolite !!! » de fin d'été, rapidement digérables entre deux encadrés sur la dernière furie du régime-jambon !). Non. Il est toujours plus facile de s'en prendre à ce qui ne menace pas directement votre écosystème. C'est une (idiote) loi de survie. Et très certainement une théorie pseudo-scientifique. Je me fouette. Bis.
Quant à sa carrière decommunicantechez Servier, là encore, merci chéri, c'est grâce-à-son-mari que Lucy Vincent a fait carrière chez les médicaments assassins : « 'Elle est rentrée chez Servier sans même avoir été espionnée ', s'amuse Jean-Didier Vincent.» (qu'est-ce qu'on se poile) « 'Être marié à un grand scientifique donne une sorte de sécurité' (...) précise un autre chercheur.». La voilà, la voie de la bite, celle qui vous fait gravir les échelons de l'accomplissement professionnel via votre vagin ! On (enfin, Sophie Verney-Caillat) vous le dit, on vous le répète.
N'en déplaise à madame la journaliste (oui, moi aussi je peux jouer un jeu misogyno-neuneu si je veux), avechuit citations PubMed(score plus qu'honorable pour une chercheuse d'un laboratoire français), le nom de Lucy Vincent (c'est vrai qu'il fallait avoir la présence d'esprit de faire une recherche avec son patronyme pré-marital, diable ! Ça ne colle pas avec le concept, coco) n'est donc pas vraiment «inconnu» dans la «vraie» littérature scientifique. Et si, comme la journaliste le souhaite, Lucy Vincent est aujourd'hui retournée « dans l'ombre » (après tout, c'est une place féminine de choix, surtout quand on est divorcée du grand mandarin pas du tout médiatique, lui, LOL), ce que j'en retiens, moi, de son article, c'est une parfaite mise en lumière de tous ces petits schémas d'analyse automatiques bien connus depuis lesPrécieuses Ridicules de Molière, où femme et science ne font pas bon ménage (hi hi). D'ailleurs une femme ne fait jamais de science, une femme ne s'intéresse jamais à la science (la vraie, la dure, nous dit Laure Adler, la spécialiste), une femme ne peut jamais chercher à vulgariser (berk, c'est sale) des recherches scientifiques. Non, une femme sepiquede science, voilà ce que l'on dit, dans le dictionnaire des lieux-communs, qui a, visiblement, bien aidé Sophie Verney-Caillat dans la rédaction de son article pour Rue89.
(Tout processus d'identification de l'auteur de ce blog à Lucy Vincent ayant présidé à son énervement, et à la rédaction de ce billet, est totalement fortuit et le plus pur produit du plus pur hasard même pas vrai. Le premier qui pense cela aura bien mauvais esprit.)