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“La Belle réparation” (”Carmen”, opéra de Bizet, 1875)

Par Jazzthierry

On est au tout début de l’acte II. Carmen se trouve dans l’auberge de Lillas Pastia, avec Frasquita, Mercédès et Morales. Elle chante alors avec une belle allitération: “les tringles des sistres tintaient”. J’aime cet extrait car en premier lieu on admire évidemment la beauté sensuelle et diabolique de Carmen, surtout sous les traits de la jeune Elīna Garanča (son site). Preuve que l’on peut être blonde, assez jeune (1976), née à Riga en Lettonie, et chanter Carmen à la perfection. On ressent également la fougue, l’énergie qu’elle semble transmettre directement au chef d’orchestre au bord de l’apoplexie. L’espace d’un instant, celui-ci semble même devenir dans l’imaginaire du spectateur en tout cas, son amant José grâce auquel Carmen a pu échapper à la prison; amant qu’elle attend impatiemment pour le combler de mets divers et s’offrir à lui. Il se sert de sa baguette comme un toréador dans une arène pour dompter la bête.

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Instant magique, musique sublime. On a d’ailleurs du mal aujourd’hui à comprendre l’échec de Carmen à sa création tout du moins. Echec dont le résultat fut la mort de Georges Bizet (voir photo) trois mois plus tard. Il avait pourtant multiplié les mélodies aujourd’hui mondialement célèbres; su découper avec intelligence la nouvelle de Mérimée afin de ne conserver que les moments d’action, mais aussi pris la précaution d’inventer un personnage vertueux et très catholique, Micaela, pour éviter justement la censure de l’époque. Malgré tous ses efforts, la critique n’était pas satisfaite. On faisait grief à Bizet, en 1875, donc quelques années après la défaite de la France à Sedan devant l’armée prussienne, d’être trop…. wagnérienne. Curieux reproche quand on songe au philosophe Nietzsche, qui voyait précisément dans la musique de Bizet, une sorte d’antidote à Wagner. Alex Ross explique que “dans ses derniers écrits, en particulier “Le Cas Wagner”, Nietzsche estime qu’il faut “méditerranéiser la musique” , pour la libérer de la pesanteur teutonne et la ramener vers ses racines populaires. Dans cette optique, la Carmen de Bizet lui apparaissait comme le compromis idéal entre la forme de l’opéra-comique et l’argument réaliste et concret” (The Rest is noise). Alors musique wagnérienne ou pas ? Toujours est-il que Carmen, remporta enfin son premier succès, quatre mois après la mort de Bizet, puis passa à Bruxelles, Londres, New York avant de revenir enfin à Paris, pour une “brillante réparation” (le mot est de Pierre Berton).


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